Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/731

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

présence d’Azara n’est qu’une formalité, le gouvernement français se déclarant prêt « à faire agréer et exécuter par l’Espagne tant les articles préliminaires que le traité définitif[1]. »

C’était l’intérêt de Bonaparte de dégager le terrain et de couper court à toutes les interventions qui motiveraient de nouveaux délais, des supplémens de procédure. C’était, au contraire, le jeu des Anglais de compliquer les affaires, d’attendre l’Espagnol, et de récriminer sur ses lenteurs, d’écouter le Batave et d’encourager, sous main, ses réclamations ; de faire ressortir l’opposition des intérêts entre la France et la Hollande, de faire sentir durement aux Hollandais les sacrifices que l’alliance française leur imposait. Cornwallis prétendait même appeler un Portugais, Bonaparte refusa ; c’eût été transformer une négociation, très simple et toute de forme, en un congrès de puissances maritimes[2]. Puis on discuta sur la langue diplomatique, question toujours posée, toujours réservée dans tous les congrès, admirable matière à digressions. Cornwallis écrivait et parlait le français ; il maintint, toutefois, son droit d’employer, selon ses convenances, la langue anglaise, et il réclama un instrument du traité en anglais. A tout propos, il en référait à Londres. Joseph se voyait contraint, à son grand déplaisir, de faire de même à Paris ; il ne laissait point de s’en plaindre et de se répandre en doléances contre ses souffleurs. On le laissait dans l’ignorance ! On ne lui avait même point confié le traité de Badajoz ! Jugeant d’ailleurs Cornwallis à son image, il le peignait à Talleyrand « dans une position forcée entre son caractère personnel et les dispositions de son gouvernement. »

Ces retardemens n’étaient point pour surprendre Bonaparte. Talleyrand lui pouvait rappeler les manèges de Malmesbury à Lille, en 1797. « Quand on rapproche cet étalage de difficultés de la simplicité même de la question qui est à résoudre, il est impossible de ne pas supposer que quelque cause secrète vient traverser la conclusion des arrangemens définitifs[3]. » La cause secrète, Talleyrand ne l’avait que trop connue au temps du Directoire, c’était l’espoir d’une crise, d’un attentat, d’une maladie opportune, maintenant que tout reposait sur la vie d’un seul

  1. Talleyrand à Joseph, 7 décembre 1801.
  2. Cornwallis à Joseph, 13 décembre ; Talleyrand à Joseph, 14, 15, 16 décembre 1801.
  3. Bonaparte à Joseph, 2 février 1802.