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homme. Philippe Cobenzl mandait[1] : « La fermentation augmente de jour en jour. » Les généraux cabalent, les démocrates s’agitent. « La cherté du pain, qui indispose la populace, vient à leur appui pour exciter le mécontentement qui se manifeste hautement. En différens endroits on a mis le feu à des moulins de grains pour renchérir la farine. Les mouches de la police ne peuvent suffire à arracher des murs les pamphlets qu’on y colle, et force bustes de Bonaparte sont jetés à la rivière… On a multiplié les patrouilles qui croisent la nuit dans les rues de Paris ; et Bonaparte, qui devait partir le 12 décembre pour Lyon, n’ira pas de sitôt, et probablement point du tout. »

Talleyrand avait des raisons, — des raisons de Cabinet noir, — de soupçonner que les informateurs de Cobenzl nourrissaient aussi la correspondance des agens de M. Hammond, le sous-secrétaire d’Etat, qui avait, à Londres, dans son département, les « intelligences » à Paris. Il l’écrivit à Otto, le 22 décembre : « On est informé qu’on répand à Londres les bruits les plus ridicules sur l’état intérieur de la France ; qu’on y parle de troubles prêts à éclore, de mécontentemens parmi les généraux, d’inquiétudes à leur sujet, d’autres anxiétés par rapport aux grains ; qu’on annonce le voyage de Lyon comme étant manqué. La vérité est que jamais la France n’a présenté plus d’union, plus de calme intérieur ; que le Premier Consul, partira, — du 27 au 28, — laissant Paris livré aux dispositions qui résultent de la plus entière confiance dans le Gouvernement. »

Otto, de son côté, signalait le mécontentement croissant en Angleterre et les difficultés du Cabinet : « Il ne saurait faire un pas sans consulter une dizaine de comités de négocians et d’armateurs, jaloux de leurs droits, fondés ou usurpés, et prêts à attaquer le gouvernement qui se permettrait de les blesser : sous ce rapport, on dirait que la foi publique de ce pays n’a pas son centre à Saint-James, mais à la Bourse de Londres. »

Bonaparte avait fait préparer un « projet de traité de paix définitif » dont l’article 5, relatif aux restitutions des comptoirs et factoreries de l’Inde, portait : la libre navigation « dans les mers de l’Inde, dans le Gange et ses différentes embouchures ; » le « commerce direct et immédiat des Français pour tous objets ; » le trafic « sur le même pied » que les Anglais pour les

  1. Au vice-chancelier, 15 décembre 1801.