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vivres et denrées. Otto, chargé de suivre cette affaire, se heurtait à une résistance invincible. Les Anglais ne refusaient point de restituer et même d’étendre quelque peu les possessions françaises dans l’Inde, mais c’était à condition que ces possessions formeraient des débouchés au commerce anglais et non au commerce français[1]. Ils accordaient à la France des colonies administratives qui dispersent les forces, coûtent cher, ne produisent rien et demandent tout à l’importation étrangère. « Si la France n’avait pas ces possessions dans l’Inde, disait à Otto un Anglais « très instruit, » nous devrions lui en donner… Surtout parce que nous avons besoin d’acheteurs et que les Français nous sont fort utiles pour faire fleurir notre commerce et nos manufactures. » Mais point de commerce ni de manufactures florissantes en France, et se déversant sur les colonies ! « Ce ne sont plus les possessions françaises que l’on craint, mandait Otto, c’est le commerce de la France. » Addington ne voulait rien entendre sur cet article, non plus que sur celui de Terre-Neuve. « Il s’est appliqué à captiver la confiance du public, et surtout du commerce, et c’est sur cette confiance que repose son autorité… ; » il se croirait déshonoré, s’il encourait le blâme de la Cité, et « ce dévouement s’étend jusqu’à certains préjugés commerciaux, avoués comme tels par lui-même, mais respectés parce qu’ils appartiennent à une grande masse d’habitans qu’il s’est fait la loi de ménager. »

Le contre-projet sur l’Inde, dit-il à Otto, a causé à Londres « la sensation la plus vive. » Il n’en parlait qu’avec « une sorte d’anxiété dans le regard. » « Tous les articles qui concernent la pêche, la cession d’une partie de Terre-Neuve et la libre navigation de l’Inde lui paraissent également inadmissibles, et tellement contraires à l’opinion et aux prétentions du public anglais, que le Cabinet ne pourrait les accueillir sans se perdre… En supposant même que le refus du Cabinet devînt la cause d’une nouvelle guerre, il m’a déclaré qu’elle serait généralement approuvée par le Parlement et par le peuple. Ces sortes d’arrangemens, poursuit-il, pourront devenir, dans des temps plus calmes des objets de négociation entre les deux gouvernemens[2]. » Le renvoi des prisonniers devint un objet de trafic. Otto désirait qu’il s’opérât avant le traité ; le ministère anglais y mit son

  1. Rapport d’Otto, 4 janvier 1802.
  2. Ibid., 6 janvier 1802.