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s’accorde avec ce paysage tranquille dont la sérénité pénètre peu à peu notre âme et l’invite au recueillement.

On aimerait à s’attarder parmi ces précurseurs, à respirer avec eux ces premiers parfums de nature qui se dégagent de leurs œuvres ; mais il est temps d’en venir à l’épanouissement complet d’un art dont, par ses leçons comme par son propre talent, Bellini avait préparé l’éclosion. Vers la fin de sa longue carrière, d’ailleurs, par l’effet d’une de ces légitimes réciprocités dont l’histoire offre maint exemple, le maître devait à son tour subir l’influence de ses deux élèves les plus illustres et marcher à leur suite dans les voies qu’il avait lui-même ouvertes à leur génie.


II

Le premier en date de ces glorieux disciples est le peintre charmant, mort dans la fleur de sa jeunesse, à peine âgé de trente-quatre ans, Giorgio di Castelfranco, célèbre sous le nom de Giorgione (le grand Georges). Malgré les recherches des érudits, son existence est demeurée assez obscure et les légendes y tiennent plus de place que les faits positifs. A peine a-t-on pu découvrir en ces derniers temps quelques documens qui le concernent. Le nom de Barbarelli qui lui est encore attribué par tous les catalogues n’était pas le sien, mais bien celui d’une famille de paysans originaire de Vedelago, dans la marche de Trévise, d’où l’on croit que venaient aussi ses parens. Un grand nombre de ses œuvres mentionnées par ses contemporains ont disparu, et la critique s’était comme évertuée jusqu’à ces derniers temps à dénier successivement l’authenticité de celles qui nous restent. Il y a dix ans à peine, il eût été imprudent, à en croire ses historiens, d’en citer une seule qui fût certainement du grand artiste dont la réputation s’étendit cependant sur toute l’Italie de son vivant et qui exerça sur ses successeurs une influence si considérable que Vasari le proclame, avec Léonard, l’initiateur le plus fécond de tous les maîtres de la Renaissance. Ce n’est que tout récemment que M. Herbert Cook, dans une intéressante monographie où il résume, contrôle et rectifie sur plus d’un point les affirmations de ses devanciers, a pu et, à notre avis, très justement, lui restituer environ une cinquantaine de tableaux et signaler aussi quelques copies d’œuvres anciennes