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spirituellement par des rehauts empâtés. Mais il n’a pas la correction absolue de Canale et l’on relèverait facilement dans plusieurs de ses ouvrages des fautes de perspective ou l’équilibre un peu hasardeux de ses monumens. Les deux faces fuyantes de son Église della Salute au Louvre semblent chanceler et menacent ruine.

Du reste, l’architecture ne joue pas toujours le principal rôle dans ses compositions, et les cérémonies religieuses ou officielles qu’il se plaît à y introduire : réjouissances publiques, couronnemens de doges, processions, scènes du carnaval vénitien pendant longtemps très renommé, lui fournissent ses motifs préférés, et lui procurent l’occasion légitime de peindre une foule grouillante et diaprée de personnages de toute sorte : courtisanes et badauds, masques et grands seigneurs, dignitaires de l’église, matelots, bateleurs, etc., tout un monde agité et paré dont la vie semble une fête perpétuelle. C’est au milieu de ces divertissemens et de ces spectacles incessans qu’allaient disparaître à la fois l’indépendance et l’art de Venise. Délaissée, restée à l’écart, la vieille ville a gardé jusqu’à nos jours sa physionomie originale, elle continue à attirer dans ses palais devenus des hôtelleries de nombreux étrangers. Des artistes partis de tous les points du globe, séduits à leur tour par ses aspects pittoresques, s’essaient à l’envi à les reproduire. Mais en même temps que sa vie propre, elle a perdu son école, cette école qui a fait le meilleur de sa gloire et qui avait été associée de si près à toutes les vicissitudes de sa singulière existence.


EMILE MICHEL.