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AUTOUR DE TOLSTOÏ

La figure de Tolstoï, tel que l’auteur de Résurrection m’est apparu l’automne dernier, malade, persécuté, excommunié et tenant tête à l’orage avec la vigueur passive d’un grand chêne qui brave la foudre, restera inséparable dans mon souvenir du cadre dont l’entouraient les merveilleux paysages de Crimée. Le contraste était pathétique entre leur riante splendeur et la tragédie de cette destinée sur laquelle tout l’Empire, toute l’Europe avaient alors les yeux, s’attendant à la mort du pécheur, une mort prochaine que ne devait accompagner aucune bénédiction, aucune prière. Bien que défense fût faite aux journaux de parler de lui, tout le monde savait qu’il avait fallu des raisons graves pour décider Tolstoï à quitter sa chère retraite de Yasnaïa Polnaïa. C’était là que je m’étais d’abord promis d’aller le voir, dans son véritable milieu, menant sa vie multiple de réformateur et d’artisan, de laboureur et de poète, roulant dans un cerveau toujours actif les types si vivans de son œuvre si vaste, tout en conduisant la charrue. Mais la volonté des médecins, soutenue par celle de sa famille, s’imposa ; il fut contraint de chercher sur la Côte d’Azur de la Russie un climat plus doux que celui de Toula, et je reçus un mot de la comtesse Tolstoï qui marquait en Crimée le lieu du rendez-vous : vingt-quatre heures en chemin de fer, puis douze à treize heures de voiture pour rencontrer un homme qui n’avait pas la force, on m’en avertissait, de causer tous les jours. Mais l’homme était Tolstoï. Je partis à sa recherche, récompensée d’ailleurs par les incidens du voyage avant d’avoir atteint le but que je me proposais, un but