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fondamentale de la nature humaine livrée à elle-même pour qu’il n’y ait pas d’excès dans la jouissance de la liberté. Mais on comprend que ni le tsar, ni le Saint-Synode ne puissent le suivre jusque-là.

— Et, demande Tolstoï, est-il vrai que l’éducation publique, chez vous, soit devenue agnostique (sic), qu’un certain catéchisme laïque enseigne à la jeunesse que Dieu n’existe pas ? De l’athéisme, il ne peut sortir que le plus grand mal.

L’école sans Dieu lui paraît, en effet, monstrueuse, il veut la foi, la foi en Dieu, et l’enseignement du précepte : Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît. Mais c’est assez d’aimer son prochain ; il y a folie à surcharger de dogmes l’esprit des enfans. Il lui semble impossible qu’un pauvre petit à qui l’on a embrouillé les idées, en lui parlant d’un seul Dieu en trois personnes, puisse jamais raisonner juste.

Lui, qui a si souvent exalté la tolérance, ne s’explique pas cependant que des gens intelligens puissent rester catholiques.

— Comment croire, me demande-t-il, après que je lui ai humblement avoué que je l’étais, comment croire, si l’on a quelque bon sens, à la Résurrection, à l’Ascension corporelle ?

J’ai envie de répondre :

— Comment croire qu’une conception de la vie future qui promet simplement à tous de retourner après la mort au-delà des formes de l’espace et du temps, là où nous étions avant de naître, puisse consoler et diriger vers le bien la masse des chrétiens ?

Il est ardent chrétien, je le sais, par l’amour de l’Évangile. Jésus-Christ n’eût-il jamais existé, que l’Evangile, de quelque part qu’il vînt, lui suffirait comme guide à travers la vie. Mais le guide suffirait-il à ces millions de pauvres paysans naïvement absorbés dans leur dévotion aux images ? Je me permets d’en douter.

L’homme qui prescrit la piété, en écartant la nécessité de toute Église représentée par des intermédiaires dont la prétendue mission serait d’instruire et de diriger les âmes, est bien le même qui réprouve le mariage consacré par des lois civiles et religieuses, mais qui cependant le veut indissoluble. L’anarchie idéaliste si particulière aux Russes se reflète en lui.

L’attitude de la comtesse Tolstoï, quand son mari parle de religion, est très curieuse à observer. Nous savons avec quel