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pas inquiété des théories de Gall, l’une représente le type collectif de seize naturalistes, l’autre, le type collectif de douze mathématiciens ; or ce dernier portrait nous montre un personnage chez qui se trouve, en très forte saillie, au-dessus de l’œil gauche, la « bosse » attribuée par Gull aux mathématiques, tandis que la même bosse est infiniment moins sensible dans le portrait « collectif » du naturaliste.

Le système de Gall est d’ailleurs, suivant M. Mœbius, l’aboutissement nécessaire de tout ce que la science du XIXe siècle a établi d’un peu positif sur l’origine et la nature de la création artistique. A supposer même que Gall se soit trompé dans le détail de ses localisations, la base de sa doctrine n’en reste pas moins solide. On n’en doit pas moins admettre, avec lui, que le « talent de la peinture, » le « talent de la musique, » le « talent de la construction, » le « talent de la poésie », et « la faculté d’imiter ou mimique, » sont des sens spéciaux, auxquels répondent dans le cerveau des organes spéciaux. Et, pour nous le prouver, M. Mœbius nous offre une longue série d’inductions et d’exemples qui est, à coup sûr, une des parties les plus originales de tout son ouvrage.


En premier lieu, dit-il, personne ne saurait plus aujourd’hui prendre au sérieux le paradoxe d’Helvétius, qui prétendait que tous les hommes naissaient pareils, et ne se différenciaient ensuite que sous l’effet des diverses circonstances de leur vie. Nous naissons tous différens les uns des autres : sur ce point, tout le monde est désormais d’accord, sauf à expliquer de plusieurs façons opposées l’origine de ces différences. Et, parmi elles, tout le monde s’accorde à compter le plus ou moins d’aptitude à sentir ou à produire tel ou tel mode de la beauté artistique. Avec un pouvoir auditif ou visuel à peu près égal, certains hommes ne jouissent que très faiblement à voir des tableaux ou à entendre de la musique ; d’autres jouissent très vivement à voir des tableaux, tandis que la beauté musicale les laisse indifférens ; et d’autres encore trouvent leur plaisir à peindre eux-mêmes des tableaux, ils y trouvent un plaisir si fort que la vue des tableaux des autres peintres ne parvient plus, souvent, à les émouvoir. C’est donc que, chez ces derniers, le sens de la peinture se trouve plus développé que chez l’ordinaire des hommes.

Reste à savoir seulement si ce sens est un élément simple et primordial de l’âme, ou si, comme on est volontiers porté à le croire, il n’est pas plutôt la résultante d’un heureux concours d’autres sens et d’autres facultés. Pour résoudre ce problème, demandons d’abord à