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l’analyse psychologique en quoi consiste exactement le sens de la peinture. Dira-t-on qu’il consiste à bien « voir » les objets réels ? Mais une foule d’hommes ont une vue excellente, qui cependant sont incapables de peindre. Consiste-t-il à savoir imiter ce que l’on voit ? Mais le besoin d’imiter n’est nullement naturel à l’homme ; et d’ailleurs le peintre, même quand il croit imiter, ne fait que reproduire les images spéciales qui naissent en lui au spectacle des choses. Ces images, à leur tour, naissent elles en lui grâce à un « goût » particulièrement raffiné ? Mais ce « goût » doit être lui-même, chez le peintre, un don de naissance, car deux hommes d’éducation semblable se trouvent souvent avoir des goûts différens. Dira-t-on que le sens de la peinture provient d’un sens, plus général, de la « beauté ? » Mais le peintre n’est sensible qu’à une certaine beauté, et la beauté musicale, par exemple, lui est parfois plus fermée qu’au reste des hommes. En dernier recours, ce qui constitue proprement un peintre, c’est un désir, un besoin particulier, le désir et le besoin de peindre. Il y a là un élément fixe et irréductible ; et tous les autres élémens, mémoire visuelle, goût, habileté de la main, tout cela se trouve en quelque sorte dominé et dirigé par ce besoin, ce « talent » essentiel. Ce talent est donc bien une faculté propre de l’âme, un pouvoir naturel que l’on tenterait vainement de décomposer : l’analyse psychologique s’arrête, dès qu’elle arrive à lui. Et de même, le talent musical. Si le musicien « entend » mieux que les autres hommes, s’il perçoit mieux les rapports des sons, s’il est plus apte à en créer de nouveaux, ce n’est point parce qu’il a l’oreille plus fine, ni plus de mémoire, ni plus de fantaisie, mais parce que chez lui le « vouloir musical » est naturellement plus fort, et que ce vouloir prête ensuite à l’ouïe, à la mémoire, à la fantaisie, la force de se développer en vue d’une œuvre à produire. Ainsi, pour expliquer la présence chez les artistes de ce qu’on nomme le talent, le psychologue est contraint d’admettre chez eux un besoin particulier, une « faculté première et fondamentale », une sorte d’instinct artistique, différent des autres instincts, et, comme eux, irréductible. « Quant à savoir comment ces instincts sont nés, au cours des âges, c’est ce que la psychologie ni aucune science ne saurait nous dire. Nous pouvons seulement nous avancer jusqu’à la porte de l’âme, d’où nous voyons sortir une force élémentaire. Nous observons les effets de cette force ; mais ce qui est derrière la porte nous demeure caché. »

Essaierons-nous d’interroger là-dessus les artistes eux-mêmes ? Ils nous répondront, tout au plus, qu’une fatalité irrésistible les a entraînés à vouloir produire des œuvres d’art, souvent malgré toute