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beaucoup près, la plus importante. Le vieux savant avait fait de son mieux pour y mettre le plus d’observation Et d’expérimentation possible : mais il disposait de moyens fort insuffisans, et sa méthode même n’avait pas encore la sûreté de nos méthodes modernes d’investigation scientifique. Si j’ai bien compris la pensée de M. Mœbius, la véritable exploration phrénologique du cerveau reste encore à faire : mais elle ne saurait se faire sur de meilleurs fondemens que ceux qui ont été établis, il y a un siècle, par François-Joseph Gall ; et les phrénologues de l’avenir auront chance de s’épargner, en outre, bien des recherches et des tâtonnemens si, au lieu de vouloir recommencer toute leur science, ils daignent prendre d’abord en considération les ingénieuses et souvent heureuses découvertes de Gall.


L’examen que fait M. Mœbius des localisations de Gall n’a donc, à ses propres yeux, qu’une portée toute provisoire. Le véritable intérêt de son livre n’est pas là : il est surtout dans ses réflexions personnelles sur les caractères fondamentaux des divers sens artistiques, ainsi que j’ai tenté de le faire voir par une rapide analyse ; et puis il est aussi dans deux petits essais de psychologie et de morale artistiques, qui se trouvent introduits au milieu du livre en manière d’intermèdes ou de digressions. L’un de ces essais traite des rapports de la beauté et de l’amour, l’autre, de l’influence possible de l’art en tant qu’éducateur.

Si l’on entend par « amour » la sensualité érotique, on peut dire qu’entre l’art et l’amour il n’y a point de rapports. Toute œuvre d’art digne de ce nom est chaste : ce qui signifie à la fois qu’elle n’a pas été conçue par l’artiste en vue de l’excitation sensuelle, et que, chez l’homme qui en sent la beauté, elle ne doit point produire d’excitation de ce genre. Certes il y a eu bon nombre d’artistes, et des plus grands, qui ont parfois visé à produire des effets tout sensuels : mais, plus ils l’ont fait, plus la valeur artistique de leurs œuvres en a été diminuée. D’autre part, on ne saurait nier que certaines œuvres, même des plus artistiques, par exemple des tableaux de nu, produisent des effets tout sensuels sur certaines natures que le défaut de maturité, ou d’éducation, ou d’aptitude innée met hors d’état de sentir la véritable beauté artistique ; et M. Mœbius est d’avis que de telles œuvres ne doivent pas être laissées à la portée de tous, il n’est pas éloigné d’approuver les papes qui ont cru devoir couvrir d’un voile ou d’une feuille de vigne la nudité d’un torse antique, ou même, parfois, d’une statue du Christ ; mais tout cela n’empêche point que ces œuvres, en tant