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ce qui n’en est que plus inquiétant et menaçant, — de ce droit de haute police qui appartiendrait au gouvernement, droit qui n’a jamais été défini, qui ne peut pas l’être, et qui n’est autre chose que celui de tout faire en vertu du simple bon plaisir. Avons-nous besoin de dire que nous ne reconnaissons pas ce prétendu droit ? Le gouvernement, et le gouvernement républicain en particulier, ne saurait avoir de droits que ceux que la loi lui confère ; s’il s’en arroge d’autres, il commet un abus de pouvoirs ou même une forfaiture. Il serait difficile, croyons-nous, de soutenir aujourd’hui la doctrine opposée. Mais, en fait, il ne s’agit pas ici d’une question de doctrine, il s’agit d’une question de juridiction, et il est à craindre qu’un tribunal administratif, si haut placé soit-il, n’étende pas la sienne au gouvernement lui-même et refuse de se prononcer sur les actes non pas administratifs, mais politiques, que celui-ci a accomplis. A supposer que le Conseil d’État se retranche dans cette abstention, qu’est-ce que cela signifiera, sinon que, fait pour appliquer la loi, il n’a rien à dire d’un acte accompli en dehors de toute loi ? En d’autres termes, il ne saurait se déclarer incompétent sans faire entendre que le gouvernement a agi sans droit : dès lors y aurait-il en France un tribunal capable de condamner un citoyen qui aurait brisé des scellés apposés dans de semblables conditions ? Si les actes de haute police ne relèvent d’aucune juridiction, ils ne sauraient non plus remplacer auprès des tribunaux de droit commun une loi inexistante, ni comporter des sanctions pénales à l’encontre des citoyens qui n’en auraient pas tenu compte. Nous trompons-nous ? Alors il faut le dire. Il faut avoir le courage d’avouer tout haut que les lois sont faites pour les citoyens, mais non pas pour le gouvernement ; que celui-ci peut tout se permettre, porter atteinte aux propriétés privées, expulser les gens de chez eux, et apposer par surcroît sur les portes de leurs maisons des scellés où il serait désormais impossible de voir autre chose que la simple manifestation de la force. Quelle que soit l’arrogance de nos jacobins, iront-ils jusque-là ?

Qu’on nous excuse d’être entré dans une discussion aussi aride : il fallait bien indiquer quelles étaient les ressources de notre droit, et qu’elles pouvaient en être aussi les insuffisances. Sur bien des points, l’incertitude reste dans la pensée ; mais, loin de justifier M. Combes, cette imprécision de nos lois le condamne. C’est une triste attitude pour un gouvernement de ne pouvoir échappera la responsabilité légale de ses actes qu’en invoquant des exceptions de procédure, en élevant des conflits de juridiction, en amenant les