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LES DEUX VIES. 97 labnégation, au principe sublime do la douleur. — « Et après, Seigneur, faites-moi la grâce que je vieillisse vite et meure chaque jour en moi avant d’entrer dans votre paix tutélaire... » Un long moment, elle resta comme anéantie, puis reprit : — Protégez ma fille et ma petite-fille; inspirez Francine, ne jugez pas ses actes, s’ils vous déplaisent, mon Dieu, mais ses intentions, qui sont pures, vous le savez... Si elle manque à vos commandemens en voulant échapper à l’étau conjugal, faites- moi expier son erreur et punissez-moi à sa place; accablez mon âme et frappez mon corps; de toute ma foi, je m’ofîre en holo- causte. Eclairez-la sur la route obscure où elle marche et faites briller pour elle votre flambeau. » Une angoisse la tourmentait : elle n’avait pu se dissimuler la transformation insensible de Francine; Marchai avait vu trop clair; un être doué de telles énergies, d’un besoin si ardent de vivre, ne pouvait accepter le renoncement complet, appellerait, à un moment donné, les revanches du sort : Francine n’aimait pas encore, mais elle aimerait peut-être ; et si la passion devait lui rester inconnue, si elle devait ignorer cette langueur et cette ardeur de fièvre qui dévoraient sa mère, elle aimerait selon sa nature franche, saine, primesautière ; elle se referait une exis- tence, elle rebâtirait la maison. Pensait-elle déjà à quelqu’un, sans y rattacher même un espoir, une attente précise?... Elle n’eût osé l’affirmer : les indices étaient si faibles. Ce fait, toute- fois, l’avait surprise : les derniers jours, plus irritée des délais de la procédure et des dégoûts de la lutte, Francine s’était plongée dans des lectures de voyages, d’explorations au cœur de l’Afrique, penchée sur la carte de la région du Zambèze, comme si elle y recherchait d’invisibles étapes. Ceci encore : dans sa chambre, outre des photographies d’amis et d’amies, sur un petit paravent d’étofl’e, un visage qui la veille n’y était pas et qui, en revanche, laissait un vide et un blanc dans l’album du salon : Eparvié. — Tiens! avait dit M™" Favié. Et Francine, de ses yeux clairs, lavait regardée très naturel- lement. Mais non, sa fille ne rêverait aucune forme de vie nou- velle, surtout aussi improbable, tant qu’elle serait encore la femme d’un autre. Elle demeurait M’" Le Hagre, car, aux yeux de M""" Favié, les actes de la vie n’allaient pas sans les forma- lités qui les consacrent, et seule la sanction solennelle de Dieu TOME XI. — 1902. 7