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il prendrait sur lui, d’après les sentimens connus du Premier Consul, si le prince y donnait son consentement, de demander une somme que Son Altesse royale fixerait, à titre d’emprunt payable quand le prince succéderait au trône. » Lors du premier paiement, quand le prince offrirait de signer son obligation, Andréossy, magnifique, ainsi qu’il convient au messager de César, se récrierait : « Le Premier Consul s’en rapporte entièrement à l’honneur du prince ! » Toutefois, cette part faite à la générosité, « le Premier Consul éprouverait la plus grande satisfaction si Son Altesse Royale l’assurait, par une lettre écrite de sa main, qu’elle cesserait par degrés toute liaison future avec les Bourbons et qu’à son avènement au trône, elle ne permettrait ni à eux ni aux autres émigrés de résider davantage dans ses Etats. » Suivaient des articles tout aussi perfidement combinés : procurer toutes les informations possibles sur les parties vulnérables de l’Inde, sur la haine qu’on y porte aux Anglais, l’affection qui y subsiste pour les Français ; sur les dispositions du Canada, les perspectives d’un soulèvement en cas de guerre ; on montrerait aux Canadiens la reprise de la Louisiane comme un exemple et une garantie. Andréossy devait se procurer tous les plans, toutes les cartes des côtes d’Angleterre, espionner à fond la marine, les arsenaux, le militaire, enfin faire parler les Anglais, dans les rencontres, et surtout éviter de boire à table, « mettre de l’eau dans son verre tandis que les autres boiront leur vin pur ; » flatter les mécontens, les plaindre, leur dire que, « dans une république, ils seraient peut-être chefs d’Etat ; » caresser les illusions des libéraux : Bonaparte, « si la Providence lui conserve la vie, » s’honorera de ne « laisser exister en Europe d’autre gouvernement que celui d’une république universelle. »

La touche du pastiche est lourde, mais ce n’est point de l’ouvrage pour les connaisseurs. Il s’agit de jeter des fagots sur le feu de houille qui brûle dans les foyers anglais et d’allumer une forte flambée, qui se voie de loin. Cette diplomatie policière et corruptrice répond bien à l’idée que, d’après les correspondances de Paris, on se fait, en Angleterre, du Consul et de sa politique. Ce Consulat, qui fait trembler l’Europe, apparaît comme un gouvernement d’aventure, méprisé, délesté, précaire, tout de fantasmagorie et d’escamotage politique, miné par les complots ; Bonaparte, petit homme, petite âme méconnue, faux génie, joueur heureux, tricheur de victoire ; effaré, tremblant à