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dominer dans le nouveau tiers. Leur arrivée amènera, selon toute vraisemblance, un changement de système. Leur intérêt les engagera à chercher « une forme de gouvernement qui mettra leurs personnes et leurs biens à l’abri des dangers qui, depuis nombre d’années, menacent les propriétaires. »

Malmesbury retrouva peut-être des fils noués par M. Hammond, lorsqu’il était venu à Paris, en 1783 ; en 1802, M. Hammond est sous-secrétaire d’Etat, et il semble bien que les fils ne se soient jamais mieux rassemblés qu’entre ses mains. « Les Anglais, écrivait un de leurs agens. en 1802, le premier peuple du monde pour établir et conserver des amis et des intelligences, ont ici la machine mieux montée qui existe sûrement[1]… »

L’Angleterre, qui demeure pour les survivans de 1789 l’arche sainte de la liberté, est pour ces « nouveaux riches », qui mettent leurs fonds à l’abri à Londres, la caisse centrale du trésor européen. « Une Angleterre puissante, écrit l’un d’eux, qui se vante d’avoir 1 500 000 francs à Londres, est nécessaire afin d’empêcher Bonaparte d’être un fléau chez lui et chez les autres. » « Mon père abhorrait Bonaparte, écrira un autre, et cet héritage est le mien même ; mon père était dans l’opinion du parti, très considérable ici, qui pense que l’Angleterre est nécessaire à la France pour empêcher la tranquillité d’un règne qui, s’il était paisible, effacerait celui de Néron. » Je travaille, ajoute-t-il, avec le concours « des chefs du parti de l’Angleterre en France, » qui, « sans l’Angleterre, serait un enfer… Tous nos principes se ramènent à celui-là[2]. » En 1802, ces correspondais avaient persuadé leurs amis de Londres que la rupture de la paix d’Amiens porterait à Bonaparte un coup mortel, et d’autant plus que l’on aurait su mieux en rejeter toute la responsabilité sur son insatiable ambition.

Les Anglais affiliaient à Paris[3], attirés, quelques-uns, l’élite, comme Fox, par une curiosité sympathique, le désir de connaître de près, dans la vie réelle, ces républicains et cette république qu’ils avaient admirés, de loin, dans l’idéal. La plupart étaient poussés par le spleen, l’ennui de leur île, la

  1. « La Cour de Londres sacrifie des sommes immenses à des dépenses secrètes, c’est-à-dire à la corruption des employés. » Panine à Woronzof, 21 août 1801.
  2. Léonce Pingaud, Un agent secret, 2e édition.
  3. Carr, les Anglais en France après la paix d’Amiens, traduction française, Paris, 1898. — Remacle, Correspondance royaliste. — Reichardt, traduction de Laquiante, Un hiver à Paris sous le Consulat.