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en cage est-elle la figure qui convient au vainqueur de Castiglione et d’Arcole ? Il s’en prend aux Anglais, aux provocations de leurs journaux, à leur refus d’expulser Georges, aux complicités qu’il prête à leurs ministres, de la rage qu’il en éprouve.

En même temps, il arme très ostensiblement, car, pour armer à fond, il n’est pas en mesure, et, faute de pousser des préparatifs secrets et efficaces en vue d’un grand coup de surprise, il tâche d’effrayer par le roulement des canons sur les routes et le marteau des charpentiers dans les arsenaux. « Les régimens, » rapporte Marmont, alors en grande faveur et fort au courant, « n’étaient pas au complet, la cavalerie manquait de chevaux, l’artillerie n’était pas dans un état satisfaisant. » Le Consul se flatte que, devant les précautions qu’il prend, devant les mesures qu’il menace de prendre, l’Angleterre, qui n’obéit qu’à l’intérêt, jugera son intérêt en péril et s’arrêtera. La combinaison hyperbolique qui sera le colossal expédient de sa politique, en 1806, s’est déjà présentée à son esprit ; il la médite, il la voit, il la dessine ; mais, hors d’état de l’exécuter encore, espérant s’y soustraire, il en fait un épouvantail : c’est le blocus continental et, comme condition première, la suprématie du continent pour la France.

Il dit à l’ambassadeur d’Autriche : « L’Angleterre veut la guerre, elle l’aura ! » Il caresse Fox qui le vient visiter, il oppose au ministère anglais le grand orateur de la paix de l’Europe, mais il ajoute : « Il n’y a plus que deux États au monde, l’empire d’Orient et l’empire d’Occident. Celui qui veut troubler la paix de l’Europe veut la guerre civile. » Toutefois il ne craint encore que la réunion de la Russie et de l’Angleterre. Il compte sur le traité de Lunéville et sur les arrangemens d’Allemagne pour contenir l’Autriche : « Toute coalition avec l’Autriche est impossible pour cinquante ans, » disait-il, très haut, afin qu’on le crût, afin de s’en persuader lui-même. Et à Rœderer[1] : « La maison d’Autriche me laissera faire tout ce que je voudrai. » Mais malheur à elle, si l’Angleterre l’induit en tentation et l’entraîne à de nouvelles aventures ! Et que l’Angleterre ne se paie point d’illusions : il se charge de lui dévoiler l’avenir qu’elle se prépare, qu’elle prépare à l’Europe.

C’est alors que, sous le coup de quelque note de

  1. Conversation du 30 décembre 1802.