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que ce Jean de France, ainsi qu’on l’appelait en Italie, où ses œuvres étaient recherchées comme sa personne y était sans doute connue : « Joannes Gallicus, nous dit vers 1450, Bart. Facio, le, secrétaire du roi de Naples Alphonse le Magnanime, grand admirateur du peintre, Joannes Gallicus, nostri sæculi pictorum princeps, litterarum nonnihil dodus, geometriæ prœsertim et earum artium quæ ad picturae ornamentum accederent, putaturque ob eam rem multa de colorum proprietate invenisse. » Dans la Flandre, comme en Italie, au même instant, sous l’impulsion de ce grand souffle de curiosité intellectuelle et de retour à l’étude enthousiaste des œuvres du passé et des phénomènes naturels qui commençait d’agiter l’Europe, la renaissance de la peinture est donc due non à quelque découverte du hasard, à quelque inspiration passagère et individuelle, mais à des efforts soutenus de la raison mise au service de l’imagination exaltée et affinée par l’amour croissant de la vérité, de la nature et de la vie. Dans leur pays, sans doute, les Van Eyck ne furent pas suivis dans cette voie aussi vite que leurs rivaux, en Italie. L’art de la peinture, après eux, redevint assez souvent, dans les ateliers de Bruges, de Gand, de Bruxelles, de Harlem, un art purement empirique. Toutefois, l’exemple donné par les deux frères était d’une telle portée, qu’il suffit, durant tout le siècle, à soutenir les évolutions, même en apparence les plus diverses, de toute l’école septentrionale, notamment dans les deux domaines où les artistes des Pays-Bas étaient déjà et devaient toujours rester supérieurs, le portrait et le paysage, aussi bien le paysage architectural que le paysage rustique.


II

La conception de l’œuvre d’art, limitée et concentrée, se créant à la fois par la vérité et par la beauté, unissant toutes les séductions de la vie et de la couleur à celles de l’expression morale ou intellectuelle, telle que Jean Van Eyck l’avait réalisée, était à la fois trop profonde et trop incomplète pour être facilement et simplement reprise autour de lui. Trop profonde, parce qu’elle eût exigé, de la part de ses successeurs, un génie scientifique de la même vigueur, ce qui ne se trouva point ! Trop incomplète, parce qu’en limitant la peinture à la représentation de quelques figures réelles, isolées ou peu nombreuses, elle ne