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accumulées de la Passion du Christ (musée de Turin) et de la Vie de la Vierge (musée de Munich). Que n’a-t-on pas dit sur cette merveilleuse série d’épisodes gracieux ? Montégut, ici même, les a finement analysés avec sa délicatesse émue. Que n’en pourrait-on dire encore, sans jamais pouvoir exprimer ce qu’on sent ? En vérité, la princesse Ursule et sa troupe de belles compagnes furent, au XVe siècle, des saintes bien heureuses. En ce moment même, à Venise, Carpaccio s’apprêtait à les célébrer sur le mode vénitien, brillant et magnifique, tandis que Memlinc les célébrait, sur le mode brugeois, tendre et modeste. A Bruges même, deux autres artistes, un peintre, sur un polyptyque du couvent des Sœurs Noires, un miniaturiste, l’ami même de Memlinc, Guillaume Vrelant (M. ss. n°23. Hôtel Gruuthuuse), avaient représenté déjà la scène du massacre sur le quai de Cologne. Leurs œuvres sont intéressantes, mais de combien inférieures !

La part du grand artiste est complétée par toute une série de compositions religieuses, envoyées de Berlin, Vienne, Rome, Munich, Paris, et par d’assez nombreux portraits, les uns authentiques, les autres douteux, presque tous dignes de lui, lors même qu’on hésite à les lui attribuer avec certitude. On y voit, dans ceux-ci, combien son influence fut générale et féconde, et, dans les autres, combien sa personnalité, si constante et si reconnaissable, était pourtant variée. C’est avec une habileté prodigieuse qu’il passait, sans effort, de la miniature à l’histoire, de la figurine microscopique à la figure monumentale. Le Christ en gloire, et son orchestre de Dix anges musiciens, tous plus grands que nature, du couvent de Najera en Castille, récemment acquis par le musée d’Anvers, sont-ils peints entièrement de sa main ? On peut faire, je crois, quelques réserves à ce sujet. En tout cas, si l’œuvre est plus fortement inspirée de Van Eyck que ne le sont ses œuvres incontestables, elle porte aussi, pourtant, le caractère de son génie propre. Dans ce concert céleste, peut-être a-t-il voulu se mesurer, une fois au moins, pour la noblesse des gestes et la grandeur des formes, avec les maîtres souverains du Triomphe de l’agneau. Quelques-uns de ses exécutans avaient déjà accordé leurs instrumens dans les petits médaillons de la châsse. Les anges musiciens ne sont pas de l’invention de Memlinc, puisqu’on les voit déjà si beaux et si fervens sur les volets de Gand et qu’on les retrouve longtemps auparavant en Ombrie et en Toscane ; toutefois Memlinc les a