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SOIR DE BRUME


En vain la pièce intime est douce, tiède et close,
Ainsi qu’une oasis dans l’effroi de la nuit ;
Au-delà de ta lampe et du beau cercle rose,
Tu devines le monde en percevant son bruit.

Les rideaux sont baissés, mais la ville est prochaine,
Avec tous ses espoirs et toutes ses douleurs ;
Puis, l’écume des flots l’enserre d’une chaîne
Aux longs anneaux d’argent pâle humectés de pleurs.

La mer tumultueuse, infinie et profonde
Se perd dans les replis de ces brouillards épais ;
Tu ne peux oublier l’existence du monde
Au sein d’une oasis de lumière et de paix.

Il retentit l’appel anxieux des sirènes
Qui porte une détresse à tous les cœurs humains ;
Sur la grande cité planent les voix sereines
Des cloches dont l’accent fait se joindre les mains.

Ainsi monte en nos cœurs la détresse du monde,
Et du ciel y descend une sérénité ;
Les rideaux sont baissés, mais la nuit est profonde
Autour d’une oasis de paix et de clarté !


LE PHARE TOURNANT


Les rochers vaguement ont l’air, dans la pénombre,
De vivre et de souffrir, quand le jour est tombé,
Comme si, quel que soit leur aspect ou leur nombre,
En chacun d’eux pleurait l’âme de Niobé.

Au pied du promontoire il jaillit de l’écume,
Et les pensives fleurs tremblent comme la mer ;
Le grand bras inlassé du phare qui s’allume
Explore les recoins du paysage amer.