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étroitesse avec les exigences d’une critique nouvelle. Il n’a pas cessé de procéder en naturaliste, ou, si vous le voulez, en positiviste. Son ambition y est toujours aussi de poser le fondement objectif du jugement critique. Mais, tandis qu’il n’avait formulé jusqu’alors que des jugemens de quantité, pour ainsi dire, la nécessité s’impose à lui d’en formuler désormais de qualificatifs, puisque, aussi bien, ce sont les seuls que nous demandions à la critique. Lequel des deux est le plus allemand, de Beethoven ou de Wagner, ou lequel des deux le plus anglais, de Byron ou de Shelley ? C’est une question intéressante, mais c’est désormais une question secondaire, et dont on pourrait dire, en un certain sens, qu’elle n’intéresse au fond que les Anglais ou les Allemands. Pareillement, la question de savoir s’il y a quelque rapport, et de quelle nature, entre la tragédie de Racine, la peinture de Lebrun, les charmilles de Versailles, et la société qu’on voit vivre dans les Lettres de Mme de Sévigné n’intéresse que les historiens ou les philosophes. Mais la vraie question, celle qui importe à tout le monde, c’est de savoir qui, de Rubens ou de Rembrandt, de Raphaël ou de Léonard, de Phidias ou de Praxitèle, par les moyens de son art, nous a donné de son art même la plus haute idée. Oui, moquons-nous, si nous le voulons 1 et redisons avec le poète :

Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ;


égayons-nous aux dépens de cette critique qui donne des prix et des accessits. Ce n’en est pas moins la seule dont nous ayons affaire. Toute autre critique ne lui sert que de base ou de point de départ, n’a d’objet que de nous y acheminer. Il y faut enfin venir. Il faut nous dire pourquoi la Kermesse du Louvre, dans l’histoire de la peinture, est inférieure ou supérieure à la Ronde de nuit, ou, dans l’histoire de la littérature dramatique, pourquoi la Phèdre de Racine inférieure ou supérieure à l’Otello de Shakspeare. On n’a rien fait en critique si l’on ne nous le dit pas. Et, pour nous le dire, n’est-il pas évident qu’il faut que l’on recoure à des considérations d’un autre ordre, d’une autre nature, tirées d’un autre fonds que celles qui nous servaient à décider de la supériorité des mammifères sur les marsupiaux ? C’est ce que Taine a fait, dans sa Philosophie de l’Art, quand il a fait, finalement, du « degré de bienfaisance » du caractère qu’elle exprime, le critérium de la valeur d’une œuvre d’art.

Oserai-je dire, à ce propos, qu’on ne lui en demandait pas tant, — passez-moi l’expression familière ; — et vingt exemples témoigneraient, au besoin, je ne puis plus dire ici de l’insuffisance, mais au