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L’attention des Parisiens se porta ensuite sur un grand ballet avec trucs et changemens à vue, qui fut dansé trois fois, par le roi et la fleur de sa noblesse[1], devant des publics analogues à ceux de nos représentations gratuites du 14 juillet. On réservait des places pour la Cour et ses invités, qui faisaient partie du spectacle, et entrait du reste qui voulait. La foule s’écrasait aux portes pour voir ce qu’on ne verra probablement plus jamais : un monarque assez sûr de son prestige pour pirouetter en costume de divinité mythologique, ou zigzaguer en « voleur qui a trop bu, » devant la « canaille » de sa capitale. Le lendemain de la première, un journaliste se plaignit aigrement dans sa feuille d’avoir fait queue trois heures, et attendu huit heures dans la salle, pour ne rien voir du tout. A peine si la presse était née, et elle avait déjà le sentiment de son importance. Elle exigeait des égards, et elle les obtenait ; à la seconde représentation, le chroniqueur à qui l’on avait manqué de respect fut conduit en cérémonie aux places réservées. Il ne fut pas encore content ; il n’était pas de face. Cependant il se montra bon prince et fit un article où il admirait tout, même un tableau dont le comique nous semble aujourd’hui bien inhumain. C’était un bal d’estropiés. Les contorsions de ces misérables firent beaucoup rire.

Des abus qui avaient amené la Fronde, âme qui vive ne soufflait plus mot. Aucun n’avait disparu, et la plupart s’étaient aggravés par le désordre général ; mais la France ressemblait à un malade qui n’a trouvé que des charlatans pour médecins ; elle en avait assez des remèdes : — « Le peuple de Paris, écrivait André d’Ormesson, était dégoûté des princes et ne voulait plus manger de la guerre. » On pouvait en dire autant des provinces. Elles restaient pour la plupart troublées et misérables, mais la haine s’y tournait contre les seigneurs, auxquels quatre ans d’anarchie avaient refait des mœurs de brigands féodaux. Déçu de tous les côtés, trompé par tous les prétendus sauveurs, le pays en revenait à mettre son espoir dans le pouvoir central. Il n’en fallait pas davantage pour que ce dernier reprît, chaque jour de la force, et il sautait aux yeux des Parisiens aussi bien que des courtisans que le premier usage que ferait la royauté de ca convalescence serait de mettre les grands hors d’état de recommencer la Fronde. Le temps était passé pour eux de servir

  1. Ces représentations eurent lieu dans la grande salle du Petit-Bourbon, père du Louvre (Cf. l’Histoire de Paris, de Dulaure).