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on regarde seulement du seuil de la porte ; il est superposé à celui d’où je viens de sortir, mais plus vaste encore et plus magnifique ; beaucoup plus éclairé surtout, car il y a dans la voûte des carrés ouverts, qui laissent voir le ciel bleu et par où descend le soleil sur des édicules tout revêtus d’ornemens polychromes et de dorures.

Et au-dessus de ce dernier sanctuaire presque aérien sont les terrasses d’où se découvrent à l’infini les plaines du Tanjore, avec leurs milliers d’autres temples émergeant des palmiers verts.

Reste enfin le caillou supérieur, le monolithe que les tourmentes originelles ont déposé là-haut comme en équilibre instable ; celui qui, vu d’en bas, simule l’extrême-avant de la proue de navire, ou le sommet du cimier de casque. On y monte en plein soleil, le long des parois lisses, par une ébauche d’escalier qui a cent quarante marches étroites, usées, penchées à donner le vertige.

Et c’est sur ces dernières terrasses, ornées de coupoles d’or, que le phare sacré s’allume toutes les nuits. C’est là aussi que se trouve l’idole suprême, dans un kiosque massif et obscur, entouré de puissantes grilles de fer comme pour empêcher quelque grand fauve d’en sortir : le fauve, c’est le dieu, un horrible Ganesa tout noir, accroupi dans l’ombre au fond de sa cage ; on ne le distingue qu’en s’approchant jusqu’à toucher les barreaux ; ses oreilles et sa trompe d’éléphant retombent sur ses formes ventrues, et son corps de pierre est à demi habillé de guenilles grisâtres, sordides, déchirées ; captif et sournois dans sa cachette aérienne, il trône seul, au sommet de cet échafaudage de temples, d’où s’exhale depuis deux mille ans un tumulte ininterrompu de musiques et de prières.

On est ici au-dessus de la région des hommes et presque au-dessus de la région des oiseaux ; c’est plus bas que les corbeaux tourbillonnent et que planent les aigles, — les aigles que l’on aperçoit comme immobiles et en suspens dans l’air. Le pays que l’on domine est l’un des plus affolés d’adorations qui soit au monde ; les temples y ont poussé de toutes parts comme les arbres ; la floraison rougeâtre des pyramides de dieux y soulève partout la verdure ; on ne voit que tours sacrées émergeant des palmes, tellement que, de si haut, l’on dirait la multiplication des terriers des taupes dans un champ d’herbages. Et là-bas, ces vingt tours monstres groupées comme les tentes d’un