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campement, c’est le temple de Chri-Ragam, le plus immense des sanctuaires de Vichnou, — où j’irai demain voir passer une très solennelle procession.

À la base du roc, il y a d’abord la ville, dans laquelle on tomberait en se penchant ; comme sur une carte très vivement coloriée, se dessinent les réseaux compliqués de ses rues, la profusion de ses temples polychromes, et ses quelques mosquées, si blanches qu’elles en sont bleuâtres ; comme des miroirs au soleil, on voit briller les saintes piscines, avec des myriades de petites mouches noires dans l’eau, qui sont des brahmes aux ablutions matinales.

Les grands cocotiers demeurent à peu près souverains dans ce pays comme au Malabar ; cependant, au milieu de cette forêt de plumes vertes agitées par le vent, qui ne finit de tous côtés qu’à l’horizon, on voit çà et là des manques, de larges taches jaunes : clairières où l’herbe est morte, brûlée, déjà par cette sécheresse croissante qui, plus loin vers le nord-ouest, a déchaîné l’affreuse famine, et dont on commence à s’inquiéter au Tanjore.

Et tous les bruits d’une vie intense, innombrable et fougueuse, montent ici pour se confondre : clameur de la ville en fête, roulement des chariots que traînent les zébus ; tam-tam et musettes dans les rues, croassement des éternels corbeaux, cris des aigles, chants dans les temples superposés, et sonneries des trompes religieuses dont les flancs de ce rocher creux ne cessent jamais de retentir…


II. — À CHRI-RAGAM

La petite « maison du voyageur » où j’ai trouvé asile, à une lieue environ du rocher unique, et à deux lieues du grand temple de Chri-Ragam, est dans une de ces clairières dévorées de soleil où les palmiers touffus ont cédé la place à quelques mimosas, de feuillage si pauvre et si grêle qu’ils ne donnent même pas d’ombre. Et, alentour, des arbustes languissans, des herbages brûlés sont comme pour jeter ici, dans ce Sud indien éternellement humide et vert, la notion de l’anormale sécheresse dont tout le Nord, tout le pays radjpoute, est en train de mourir.

De mon logis, pour aller à Chri-Ragam, il faut traverser d’abord la ville que le rocher surplombe ; ensuite, pendant une