Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou deux heures de trajet en voiture, sous les arbres et les palmes, ce ne sont plus que temples préparatoires, de toutes les tailles, de tous les âges : débauche de pierres et de granits sculptés, où les fidèles s’empressent à mettre des fleurs et des guirlandes — oh ! de si étranges guirlandes — pour la fête de demain. Sur toutes les entrées, sur tous les portiques, on a fraîchement repeint, en blanc et en rouge, le sceau terrible de Vichnou, la fourche à trois dents, — la même fourche qui est inscrite sur le front de tous ces hommes. Il y a même çà et là des futaies de palmiers, plus spécialement consacrées au dieu, et qui portent ses couleurs : chaque tronc, lisse comme une colonne, a été peinturluré de blanc et de rouge, tellement qu’on ne sait plus bien où les temples finissent, où les bois commencent. Le pays entier n’est plus qu’un immense lieu d’adoration.

Quand enfin on arrive au sanctuaire même, au sanctuaire prodigieux qui a sept enceintes, la première de deux lieues de tour, et vingt et une pyramides de dieux hautes de soixante pieds dans l’air, on se sent perdu dans l’énormité, dans la profusion, en même temps que troublé par l’exotisme extrême ; l’inconcevable abus du détail inquiète autant que l’excès de la masse ; tout ce qu’on avait lu sur l’Inde, tout ce que l’on croyait savoir, tout ce que des féeries, des spectacles avaient cru reproduire est étonnamment surpassé. Et il faut prendre son parti de constater que nos cathédrales en petites pierres grises, avec leurs saints et leurs anges, auprès de ces tumultueux amas de blocs rouges, auprès du gesticulement de ces myriades de divinités à vingt bras et à vingt visages, sont à peine comme la gentille flore de nos climats comparée à celle d’ici…

Cela commence par une enceinte absolument cyclopéenne, antérieure au reste du temple, et d’une antiquité mal connue : œuvre d’une génération qui avait rêvé de faire grand comme la tour de Babel et qui s’éteignit avant d’avoir pu finir. On passe là sous un portique dont la voûte, suspendue à plus de quarante pieds de haut, est un agencement de monolithes longs de dix ou douze mètres ; au couronnement, s’indique la base d’une pyramide inachevée, qui aurait été quelque chose de terrifiant et de sans doute impossible. Le tout a pris un rouge de cuivre, et des perruches sacrées, qui reposent par familles sur les saillies des sculptures, y simulent des taches d’un éclatant vert-de-gris.

De l’autre côté du portique, on est dans la magnificence des