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jaunes. Ma voiture passe au trot, se hâtant vers Chri-Ragam ; les images se succèdent et se confondent…

Et, comme nous sommes au mois du Ramadan, c’est fête aussi chez le peuple de Mahomet. La grande mosquée, devant laquelle une foule en turbans de toutes couleurs s’agite au son des tam-tam et des musettes, est couverte de lignes de feux ; pour faire encore plus féerie, on l’a enveloppée, murailles blanches, colonnes, arabesques et illuminations, dans un immense vélum de mousseline rouge qui l’embrouille, l’estompe en rose, l’éloigné, jette de l’incertitude dans les formes et les distances ; ses minarets seuls et son dôme émergent de la draperie colorée, pour s’élancer librement, tout neigeux et un peu bleuâtres, avec leurs croissans qui brillent à la lune, dans le ciel étoile…


III. — PRÉPARATIFS DE PROCESSION

Donc, je suis revenu à Chri-Ragam, — et c’est la nuit, contre les murs du grand temple de Vichnou. C’est dans l’enceinte sacrée où les brahmes seuls demeurent, et c’est en un point de l’avenue large qui fait le tour du sanctuaire. Le char du dieu est là, qui attend au clair de lune, surmonté d’une sorte de dais, ou de donjon fantastique, étincelant d’or rouge, d’or vert, d’or pâle, avec un toit très orné, imitant les tours des temples ; la base de tout cela, le char proprement dit, vieux comme l’Inde brahmanique, est un amas lourd et terrible de poutres sculptées, qui semble trop énorme pour jamais être mis en mouvement ; mais l’édifice doré, l’extravagant donjon qui brille, a été posé aujourd’hui même, et c’est une chose toute légère, en soie, en clinquant, en papier sur des carcasses de bambou, donnant l’illusion du relief et de la magnificence. La lune éclaire aussi des groupes blancs, dont le char est entouré : Indiens qui la nuit ne manquent jamais d’envelopper leur torse et leur tête dans des voiles de mousseline, et prennent, des airs de fantômes. Maintenant, comme si ces lueurs de lune ne suffisaient pas, on apporte, en plus, des torches, car on va travailler à mettre au char les roues qui lui permettent une fois l’an de se mouvoir à la façon d’une monstrueuse tortue ; or elles dépassent de moitié les tailles humaines, ces roues du char, et ce sont des disques pleins, faits de deux couches de madriers, qui se contrarient, boulonnés de fer. Et on élonge déjà sur le sol les câbles de