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j’aie travaillé aussi à orner la terre devant sa demeure. Elle sourit et, avec hésitation, lui remet pour moi le petit sablier, dédaignant toutefois de frôler directement ma main. Et des fantômes blancs, qui passaient, m’entourent, intrigués de ce que je vais faire, anxieux du dessin qui va sortir d’entre mes doigts.

Très nettement, sur le sol rouge sombre, j’inscris le monogramme de Vichnou. Alors, c’est un murmure de surprise et de sympathie. Et la petite beauté indienne veut bien reprendre de mes propres mains son sablier, consent même à me faire part de ses projets : il y aura une bordure de rosaces et d’étoiles, et, au centre de chacune, des fleurs d’hibiscus seront piquées.

Cependant, c’est assez, presque trop. Pour qu’elle ne garde pas de moi le souvenir d’un indiscret, et qu’au moins j’obtienne un gentil regard d’adieu, je sens que la minute précise est venue, où il faut que je me retire.

Là-bas, vers le char doré du dieu, dont le sommet resplendit, tous les groupes blancs se sont rassemblés. Bientôt minuit. Une chose mystérieuse va s’accomplir, que mes yeux ne doivent pas voir. Pour plus de solennité et de pompe, les grands éléphans sacrés, dont l’un a cent ans, ont été amenés près du char, et, vêtus de leurs robes d’apparat toutes brodées d’or, ils se dandinent sous la lune, comme des monstres mous. On a ouvert en pleine nuit de larges parasols, terminés par des sphères de cuivre. Et une théorie de jeunes éphèbes brahmes arrivent avec des torches à trois lumières, à trois branches, imitant la fourche de Vichnou.

La chose mystérieuse qui va s’accomplir, la voici : tout au fond du temple, dans la partie secrète, on ira prendre le symbole le plus sacré, celui qui ne doit pas être vu, le vrai et l’unique Vichnou de Chri-Ragam, tout en or pur, couché sur le serpent à cinq têtes, et on le déposera en face du char, sur une plateforme, dans un kiosque antique, construit là tout exprès ; des prêtres et des lampes veilleront à ses pieds, et demain matin, au moment de la procession, il n’y aura plus qu’à le faire passer par une fenêtre pour l’asseoir sur son char, sous le dais semblable à une tour, qui le gardera invisible. Chaque fois qu’il traverse l’avenue pour se rendre dans le kiosque, il est très enveloppé de draperies, cela va sans dire, le grand Vichnou de Chri-Ragam ; mais c’est égal, le transfert a toujours lieu de nuit, afin que les regards non initiés ne puissent rien surprendre de sa forme. Et la fête, cette année, coïncidant avec le plein de la lune, on