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Et voici à peu près quel en est le thème. La jeune princesse, que la bayadère incarne ce soir, est aimée par sept jeunes princes à la fois, tous frères. Pour ne pas se faire souffrir les uns les autres, ils ont échangé le serment qu’aucun d’eux ne la possédera jamais, pas même celui des sept que le roi leur père a désigné pour être son époux et qui doit venir la chercher dans ce palais où elle est gardée. Les premiers temps donc, ils sont tous heureux, sachant se contenter de son amitié et de son sourire. Mais un jour, dans un bois où ils étaient en chasse, les Esprits du mal, prenant forme de saints fakirs à cheveux blancs, vinrent les tenter, chacun en particulier, cherchant à réveiller leur amour charnel et à les exciter les uns contre les autres par de fausses dénonciations. Alors la haine et le malheur entrèrent au palais, avec mille projets de violence et de crime. Cependant les Esprits du bien, avant qu’aucun forfait ne fût commis, intervinrent à leur tour, et après une lutte acharnée, ils reprirent possession des âmes. Et les sept princes retrouvèrent le calme résigné, auprès de leur sœur d’adoption, jusqu’au temps où la vieillesse, en éteignant leurs désirs, ramena chez eux tous la félicité parfaite, dans le sentiment du devoir accompli.

Pendant un entr’acte, je suis allé dans la loge de Balamoni, qu’on avait prévenue de ma visite, pour la remercier d’être si jolie et de jouer avec une mimique si pure son rôle virginal. Je l’ai trouvée dans une petite chambre toute simple, tapissée de nattes, où ses diamans et ses atours, épars çà et là, détonnaient comme les présens fantastiques de quelque génie dans une cabane de bergère. Dès la porte, ses serviteurs m’ont passé au cou, suivant l’usage, un épais collier de fleurs naturelles, entremêlées de fils d’or, et elle m’a tendu la main, avec une grâce aisée et comme il faut. Son projet, qu’elle m’a confié, est de ressusciter tout le vieux théâtre sanscrit, composé de pièces admirables. Et elle a bien voulu se dire flattée quand je lui ai annoncé que je parlerais d’elle à mes amis de France.

Au lendemain de cette soirée, dans un lieu banal s’il en fut, j’ai rencontré la bayadère. C’était à la gare du chemin de fer de Madras, — car le chemin de fer, hélas ! passe à Madura. Deux servantes l’escortaient. Elle venait prendre le train pour aller inspecter ses propriétés à la campagne, comme eût pu faire n’importe quelle petite bourgeoise bien modeste et bien sage. Il est vrai, au milieu de la foule indienne qui se trouvait là en