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avec des petits saluts de fausse modestie, des petits saluts à l’indienne, en se cachant le visage chaque fois avec ses deux mains qui ont des diamans à tous les doigts…

Que peut-il bien y avoir dans l’âme d’une bayadère, de vieille souche, de caste ancienne, fille et arrière-petite-fille de bayadère, par atavisme préparée, depuis des cent et des mille ans, à n’être qu’une créature d’illusion et de plaisir ?…


XIII. — EN QUITTANT PONDICHÉRY

Je quitte demain Pondichéry, pour aller aux États Radjpoutes, dans l’Inde affamée, en traversant le Nyzam.

J’étais resté dix jours à peine dans notre vieille colonie, et je suis tout étonné de m’apercevoir que j’en partirai avec un serrement de cœur. Si légèrement jusqu’ici j’avais vu la fin de toutes mes étapes dans l’Inde ! Mais on dirait que ce pays de Pondichéry m’a repris ; on dirait que j’y ai trouvé des ressouvenirs. A l’instant de ce départ, c’est en moi quelque chose comme ce que j’éprouvai jadis, au temps de ma prime jeunesse, quand vint l’heure de quitter, après une année de séjour, Saint-Louis du Sénégal, cette autre vieille ville éteinte.

J’habitais à l’hôtel, comme le premier passant venu, — car, à Pondichéry, il y a deux hôtels, qui végètent modestement, sans voyageurs. J’avais choisi celui qui est au bord de la mer, une maison d’aspect un peu seigneurial, datant de la fondation de la ville et cachant sa vétusté sous de la chaux bien blanche. J’y étais entré avec quelque inquiétude, vu le délabrement, l’air d’abandon. Et qui m’eût dit que je m’attacherais à ce gîte de hasard ? La grande chambre que j’occupais, déjetée par les ans, toute blanche de chaux et presque vide, avait je ne sais quelle analogie, à la fois indéfinissable et intime, avec une autre, où j’ai habité plus longtemps, à la côte d’Afrique. Des fenêtres à contrevens verts donnaient sur l’immensité de la mer des Indes ; la brise du large m’apportait, aux heures les plus lourdes du jour, une fraîcheur idéale. Comme dans certains salons créoles, j’avais des fauteuils centenaires, en bois des îles sculpté, et, sur une console Louis XVI, une pendule du même règne, dont le tictac révélait la petite vie persistante, la petite âme vieillotte et anémiée. Tout était desséché, vermoulu, cassant ; on n’osait pas s’asseoir trop fort, ni se mettre au lit avec brusquerie. Mais on