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politiques. » C’est en Angleterre surtout que le coup porte à faux.

Les politiques voient l’Egypte menacée, la Suisse fermée, c’est-à-dire une porte de côté par où ils exploraient et machinaient en France. Les négocians voient un entrepôt de plus enlevé aux affaires. La Cité lit le discours aux Suisses et le rapport de Sébastiani : le Corse les défie d’agir ici, il menace de les déloger de là ! Le sang monte à la tête de John Bull, il voit rouge, il ferme les poings, et sir John Falstaff cogne sa cuirasse de si formidables coups d’épée que le retentissement en fera évanouir le matamore du continent ! Le ministère Addington se guindé à la hauteur du public. Hawkesbury mande, le 9 février, à Whitworth de déclarer que l’Angleterre ne se dessaisira pas de Malte avant d’être rassurée sur les intentions de Bonaparte au sujet de l’Egypte et de l’empire ottoman. Malte est le gage universel et la garantie de toute réclamation. Whitworth, stylé à Londres par Simon Woronzof, Busse de profession et anglomane de goûts, s’était mis en confiance avec Markof, le consultait, lui communiquait tout, et Markof, de ces confidences, nourrissait ses rapports, attisant la jalousie d’Alexandre, aigrissant l’hostilité des ministres.

Whitworth avait conféré avec Talleyrand sur ses instructions du 9 février. Le 18, Bonaparte le fit prier de se rendre aux Tuileries[1]. Ce fut une de ces grandes scènes de tragédie historique que Bonaparte admirait tant chez Corneille et par lesquelles il se donnait et donnait à la postérité, le spectacle, souvent le secret de sa vie. La France, dit-il, a une armée de 480 000 hommes, préparée aux entreprises les plus hardies. L’Angleterre possède une flotte qui la rend maîtresse des mers et que la France n’égalera pas avant dix ans : ces deux puissances sont capables de gouverner le monde, par leur entente, et de le renverser par leurs discordes. « Depuis la paix d’Amiens, j’ai senti, en toute occasion, l’inimitié. Pour avoir la guerre, il suffit de déclarer qu’on la veut… » Il reprit, un par un, les griefs de l’Angleterre : — Le Piémont, la Suisse, ce sont des bagatelles. Tout cela était dans l’ordre naturel des choses et facile à présumer, lorsqu’on traitait à Amiens ; il ne fallait pas conclure alors, ou tenir ce qu’on avait promis, nommément à Malte. Quant à

  1. Rapports de Whitworth, 21 février ; de Markof, 28 février 1803, d’après le récit direct de Whitworth.