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contre la guerre, que la moitié de l’armée est jacobine, que Bonaparte est hors d’état de faire campagne. L’occasion est bonne, note Malmesbury, dans son Journal.

Les ministres, qui désormais ne font rien sans Pitt, découvrent leur jeu. Alexandrie est évacuée, mais ils réclament Malte à titre de compensation et à titre de gage, qu’ils garderont tant que le Premier Consul ne les rassurera pas sur l’Egypte[1]. On parle du retour de Pitt au ministère. Pour répondre au message de Bonaparte du 10 février, à ses 500 000 hommes, à sa déclaration insolente que l’Angleterre seule n’est pas de taille, le roi, le 8 mars, demande de nouveaux subsides. Alors qu’ils savent par Whitworth lui-même qu’il ne se fait aucun armement dans les ports de France, le 10 mars, ils rappellent la milice ; le 11, le Parlement vote une levée de 10 000 marins. Les émigrés bourdonnent, remuent, paradent. Le Comte d’Artois joue au souverain au milieu de ses fidèles, toujours à la veille de l’héroïsme, de l’embarquement, de la restauration. Bonaparte leur avait fait passer des offres assez étranges : une indemnité, une satisfaction quelconque, en argent, moyennant quoi le prétendant renoncerait, en forme, à ses droits ; son frère et ses neveux se retireraient loin, très loin, à Moscou. Il en avait été question, en août 1802, entre Talleyrand et Markof. Le propos reprit, en février 1803, par l’entremise du roi de Prusse. Ce n’était pas l’heure, pour les Bourbons, de se désavouer eux-mêmes, de s’avilir comme le disait crûment Talleyrand, jugeant de ce mot l’acte qu’il était chargé de procurer. Ils ont tout refusé, écrit le roi de Prusse[2].

Andréossy, fort novice aux escarmouches d’ambassade, se sent quelque peu étourdi et chancelant. De sa personne, d’ailleurs, il incline aux opinions des entours de Joseph, de Miot, et ses propos intimes concordent singulièrement avec ceux qu’échangeait, au mois d’août précédent, son collègue de Vienne, Champagny, avec le plus enragé et acharné ennemi de la République et de Bonaparte, le comte d’Antraigues. Un camarade de jeunesse d’Andréossy, le comte de Guilhermy, homme de confiance de Louis XVIII, le vient visiter en son ambassade. Andréossy lui

  1. Rapports d’Andréossy, 24 février, 1er mars ; Hawkesbury à Whitworth, 28 février 1803.
  2. Rapports de Markof, 21 avril, 16 octobre 1802. Lettres de Frédéric-Guillaume à Alexandre, 11 février, 29 mars 1803. Bailleu.