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Il ne suffit pas de crier aux alliés : Garde à vous ! Il faut occuper les positions offensives. Bonaparte n’a garde de méconnaître le conseil que Frédéric soufflait, en 1755, aux ministres de Louis XV, aveugles et sourds : « Toute leur conduite de modération ne leur fera différer ni éviter la guerre générale que l’Angleterre leur destine… Savez-vous le parti que je prendrais dans les circonstances présentes, si j’étais le roi de France ? Je ferais marcher, dès que la guerre serait déclarée ou que les Anglais auraient commis quelque hostilité contre la France, un corps considérable de troupes en Westphalie pour les porter tout de suite sur l’électoral de Hanovre. C’est le seul moyen de faire chanter ce… » Ici, un mot fort libre, désignant le roi d’Angleterre. Au lieu de disséminer ses troupes et de les engager dans le nord de l’Allemagne, Bonaparte préférerait, — c’est une tradition du Comité de salut public, — y placer le roi de Prusse, ce qui serait, du même coup, le lier à la France et l’engager contre l’Angleterre. Il envoie Duroc à Berlin, avec cette instruction : « Il faut trancher le mot ; le projet du Premier Consul, si le cabinet britannique persévère, est d’envahir sur-le-champ le Hanovre. » Mais Duroc fera entendre le fin des choses, le sens caché de la lettre que le Premier Consul adresse à Frédéric-Guillaume : « Votre Majesté sait combien je désire, dans toutes les circonstances, lui être agréable… »

En même temps que la Baltique, la Méditerranée, Bonaparte réoccupera Otrante et Tarente si les Anglais n’évacuent pas Malte. Le roi des Deux-Siciles en est prévenu. Le général Colbert part pour Pétersbourg avec une lettre qui en avertit Alexandre et réclame « son intervention. »

Ces lettres au roi d’Espagne, au roi de Prusse, à l’empereur de Russie, à Melzi, sont écrites dans la matinée du 11 mars. Ce jour-là, Talleyrand dînait chez le ministre de Prusse, Lucchesini, avec Whitworth, Berthier et Decrès. Au sortir de table, Talleyrand, non sans quelque solennité voulue, invita les ministres de la Guerre et de la Marine à retourner à leurs ministères où des ordres pressans les attendaient ; puis il emmena Whitworth dans un salon voisin. Il lui signifia que, si l’Angleterre ne fournissait pas des explications sur ses arméniens, le Premier Consul ferait entrer 20 000 hommes en Hollande, formerait un camp sur les frontières du Hanovre, un autre à Calais, et occuperait Tarente.