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République française après s’être identifié cette politique, à Rastadt, venait de la consacrer en Allemagne par le grand recès de Ratisbonne, et c’était le seul lien de droit entre les pouvoirs sortis de l’ancien régime et les pouvoirs issus de la Révolution, entre la vieille Europe et la jeune Amérique !

La cession de la Louisiane, ainsi vendue aux Yankees, avant même que la France en eût pris livraison, parut une offense aux Espagnols, qui l’avaient, en gentilshommes, restituée à la France… en échange de l’Etrurie. Ce fut un motif de plus pour eux de se dérober à une alliance aussi humiliante, pensaient-ils, pour leur honneur qu’onéreuse à leurs finances et dangereuse pour leur domination dans l’Amérique du Sud. Godoy négociait à la Beaumarchais : servile, bavard, hâbleur, insaisissable. Il montrait les arsenaux vides, les vaisseaux désemparés ; étalant la misère de l’Etat, comme d’autres leurs richesses, et, sous le manteau, il causait de neutralité avec les agens de l’Angleterre. Autant de motifs pour Bonaparte de « filer » les négociations et d’ajourner la rupture ; autant de motifs pour les Anglais de la précipiter.


V

« Je rencontre chez Bonaparte, écrivait Whitworth, un grand désir de négocier » et « d’éviter la rupture si c’est possible[1]. » Mais le cabinet anglais y mettait des conditions que Bonaparte, on le savait à Londres, n’accepterait jamais : Malte, à perpétuité à l’Angleterre ; évacuation par la France de la Hollande et de la Suisse ; en compensation, reconnaissance de l’acquisition de l’île d’Elbe par la France, du royaume d’Etrurie, de la république italienne et de la république ligurienne, moyennant une indemnité au roi de Sardaigne, en Italie[2]. Bonaparte refuse Malte ; mais il fait insinuer par Talleyrand et Joseph la cession d’une autre île. Lampedusa, Corfou, Chypre même. Le cabinet anglais réplique : il lui faut être maître de Malte pour se sentir rassuré sur l’Egypte ; il propose ou le gouvernement civil de l’île donné à l’ordre avec garnison anglaise à perpétuité, ou la cession pure et simple de l’île à l’Angleterre pour dix

  1. Rapports des 27, 29 avril, 4 mai 1803.
  2. Note à Andréossy, 2 avril ; Hawkesbury à Whitworth, 4 avril 1802.