Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/408

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je suis sûr que ces mauvais jours ont été pour le bien, quoique je ne voie pas comment. Pourtant un point reste lumineux. Plus douloureux a été le crucifiement, plus abondant sera le salut, et je comprends que le crucifiement, c’est la mort de toutes les confiances et forces humaines. La vie divine veut jaillir du tombeau de pierre. Ainsi en soit-il pour nous ici, mon roi, mon Dieu !


Cette prière était écrite le 7 février. Treize jours après, le journal s’ouvre sur ces lignes navrantes.


20 février. — Ce matin, entré de nouveau dans la vallée de l’ombre de la mort. Ces affreuses ténèbres nous menacent encore. Kobb est venu à la chapelle me dire qu’il avait presque sûrement un cas de fièvre typhoïde dans sa maison. Pauvre garçon, il défaillait presque en me parlant… Il ne se trompait pas. Tous les enfans de cette maison seront congédiés demain… La main de Dieu pèse sur nous, jour et nuit.

Le 22 mars, il fallut fermer une autre maison. A cette fois, la panique devenait universelle et, si on ne voulait pas la mort d’Uppingham, une héroïque solution s’imposait. Licencier l’école à ce moment de l’année et pour plusieurs mois, c’était renoncer à tout espoir de voir les élèves revenir des différens collèges où ils se seraient réfugiés, c’était renoncer à retrouver le personnel des professeurs qui, dans l’intervalle, seraient allés frapper à d’autres portes pour gagner leur vie. Une seule issue restait ouverte, mais chimérique, et dont la seule pensée faisait hausser les épaules aux hommes sages : transporter Uppingham plus loin, trouver en quelques jours une ville où l’on pût installer rapidement maîtres et élèves, et, après une semaine de congé, recommencer les classes comme si rien n’était venu les interrompre. Déraciner une école plusieurs fois centenaire, la transplanter à quelques centaines de milles au bord de la mer, abriter, pour un temps indéfini, les trois cents élèves, les trente maîtres et leurs familles, et réaliser tout cela en quelques jours, sans même savoir si les parens consentiraient à risquer cette gageure, en vérité, une sagesse ordinaire ne pouvait s’arrêter sérieusement à discuter pareille entreprise. Froidement et fermement, malgré le conseil des sages, Thring résolut de la tenter.

Et il réussit. Dès la première semaine d’avril, les classes s’ouvraient dans la petite ville de Borth. Ce furent des jours épiques comme Tom Brown n’en connut jamais à Rugby. On a écrit l’histoire, le roman de cet exode et de ce joyeux exil. Les Gallois furent très accueillans pour la jeune tribu qui campait