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chacun, tel qu’il est, doit, dans cette vie universelle qui coule sans interruption, s’adapter au milieu qu’il rencontre et aux conditions du moment. En ce sens, tout être qui naît est un défi à la nature ; il faut qu’il s’adapte ou disparaisse.

Dans la société, il en est de même. Les nations, les classes sociales, les individus se différencient par l’adaptation au milieu.

Pour les nations d’abord, que l’on attribue leur différenciation, avec le major Brück, à l’intensité plus ou moins grande de la circulation magnétique, ou, avec Demolins, aux routes suivies dans leurs migrations par les peuples habitant primitivement le plateau central de l’Asie[1], un fait est constant : elles doivent adapter leur énergie au milieu, et l’énergie varie suivant le climat, les richesses naturelles, la fertilité, la configuration du sol qu’elles occupent.

Elles ne trouveront ces moyens d’adaptation ni aux pôles, ni aux tropiques, par exemple[2]. Mais, dès qu’il y a un groupe d’hommes sur une portion du globe favorable à l’expansion de la vie, le groupe s’adapte ; il prend son caractère propre, devient peuple nomade ou agricole ou guerrier, industriel ou commerçant. Et, en s’individualisant, il se perfectionne, il s’outille en vue des buts variés offerts à son activité ; il acquiert, non par l’intervention artificielle du législateur, mais toujours par le même procédé instinctif et naturel de différenciation et d’adaptation, les organes répondant aux fonctions différenciées sans lesquelles la vie sociale est impossible. Puis, à mesure que le groupe s’étend, les intérêts et les besoins se multiplient et les fonctions et les organes se multiplient en proportion des besoins.

L’on aboutit au mécanisme complexe et spécialisé qui distingue une civilisation d’une peuplade non civilisée. Tous les rouages confondus dans la cellule primitive apparaissent chacun avec son caractère particulier : gouvernement et administration, états et communes, cultes, législation, justice, hygiène, enseignement, transports, agriculture, industrie, commerce, sciences, arts, corporations publiques, associations privées, services publics, entreprises privées, etc.

Et tout cela se résorbe dans une unité supérieure, l’unité

  1. Comte Goblet, Des causes qui ont amené la différenciation des Sociétés humaines. — Extrait du Bulletin de la Société royale belge de Géographie, 1902.
  2. Fr. Ratzel, Politische Geographie. Münich, 1897, p. 97 et suiv.