Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/449

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il forme des hommes instruits et surexcite le besoin de s’instruire. N’est-ce pas pour cela que, même en Allemagne où l’autorité a tant d’empire sur l’enseignement, la liberté d’enseigner laissée aux individus et aux associations par la parole, la plume, les brochures, les livres, les conférences, a un rôle si considérable ?

Cette dualité essentielle des deux facteurs de l’histoire, le facteur individuel et le facteur collectif, le socialisme la néglige. Dédaignant l’initiative individuelle dont il voit surtout les défauts, il réserve sa sympathie particulière à l’État, représentant unique, à ses yeux, des intérêts généraux. Si depuis la Révolution française deux écoles sont de nouveau aux prises, discutant, comparant les mérites respectifs des services publics et des œuvres privées, comme si nous devions choisir et nous laisser englober dans l’une de ces deux formes, c’est que le socialisme considère l’organisation par l’Etat comme la forme supérieure dont il faut poursuivre la généralisation ; et il aboutit logiquement à remettre propriété, moyens de production et entreprises aux mains de l’Etat.

Or l’erreur fondamentale des partisans de la socialisation, ce n’est pas seulement d’opposer les créations de l’Etat à celles de la liberté ; ce n’est pas seulement de ne voir que les mérites des premières et les vices des secondes ; c’est surtout de méconnaître que, dans les deux cas, les œuvres valent exactement ce que valent les individualités placées à leur tête.

Attribuer les avantages d’une institution de l’Etat à son caractère public est absurde ; elle ne réussira que grâce à l’activité, aux facultés éminentes, au talent des dirigeans ; la seule condition de succès d’un service public réside dans l’initiative, les aptitudes personnelles de ceux qui lui impriment sa marche.

Attribuer d’ailleurs les avantages d’une entreprise particulière à la liberté, c’est se tromper tout aussi grossièrement : les résultats dépendent uniquement des qualités marquantes des chefs responsables.

Qu’il s’agisse d’un particulier, d’une société, d’une coopérative, d’un établissement de l’Etat, l’essentiel, c’est la supériorité des individus. Sans cette capacité personnelle, il ne reste du côté de l’Etat que la routine, la paperasserie, les gaspillages, les lenteurs, l’absence de responsabilité ; du côté des particuliers,