Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/461

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du fer rouge. Nous ne pouvons que nous incliner devant ces témoignages. A vrai dire, les conversations que le romancier a intercalées dans ses récits ne nous donnent guère l’idée de toutes ces merveilles. Les mots qu’on cite de lui, ou qu’on lui prête, ressemblent fort à des pantalonnades. Il pratiquait le calembour et l’a peu près. Il cultivait le paradoxe. C’est un genre qui peut plaire ; mais il faut l’aimer, sans quoi on le trouve insupportable. D’Aurevilly fut le causeur fringant, piaffant, étourdissant, ébouriffant ; celui qui vous fait apprécier le bon sens de M. Prud’homme. Mais l’art de la conversation est un art très particulier, d’un agrément immédiat et dont on ne peut juger après coup. Le premier mérite d’un causeur, c’est d’aimer à causer. D’Aurevilly adorait les succès de salon. Il parlait du faubourg Saint-Germain comme en parlent les jeunes gens de Balzac et le tambourinaire d’Alphonse Daudet. « Au faubourg Saint-Germain, ils disent que j’ai un esprit effroyable !… » Puis l’à-propos, le geste, l’accent ajoutent beaucoup à la valeur des choses qu’on dit. Un des « effets » du fameux Galiani, dans les salons où il donnait le ton, consistait à lancer prestement en l’air sa pantoufle. C’est une sorte d’esprit dont aujourd’hui la drôlerie nous échappe. Il n’est nullement prouvé que d’Aurevilly n’eût pu faire sa partie au milieu des causeurs les plus réputés du XVIIIe siècle.

Ce qui est plus curieux encore, c’est qu’il avait des dons d’écrivain. Son style est maniéré, contourné, alambiqué, poussé à l’effet, peinturluré, surchargé et surchauffé, et il n’y manque aucune des variétés de la prétention. Mais l’armature de la phrase est bonne, et sous l’appareil de la grandiloquence on y devine une certaine vigueur d’expression. Il avait quelque chose de la vision du peintre. Les paysages de sa Normandie lui étaient restés dans l’œil, et il est hors de doute que les meilleures de ses pages sont celles qui lui ont été inspirées par les aspects de sa terre natale. Il est le peintre du Cotentin. Il a décrit non sans poésie la Normandie des plages et des landes, évoqué non sans relief les rues tortueuses et les vieilles maisons des petites villes. Valognes a trouvé en lui son Balzac. Les parties descriptives qu’il consacre à la cité normande au début du Chevalier Destouches sont d’une belle venue. Ce livre est, à tout prendre, de tous ceux qu’a écrits Barbey d’Aurevilly, le seul qui soit encore lisible. Le neveu des Chouans savait assez bien redire avec sa grosse voix ces histoires de la chouannerie normande qu’il avait recueillies sur place… Mais il a tout sacrifié à sa manie de la singularité.

Quand on vient d’assister à ce long et vain effort d’un homme pour