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déclaration très nette et très franche qu’il ne s’est pas embarrassé de savoir d’où lui venaient des ordres que sa conscience ne lui permettait pas d’exécuter. Sa conduite aurait été la même quand même ces ordres auraient eu une origine incontestablement et exclusivement militaire. La question, pour lui, n’a pas été celle que le conseil de guerre a agitée et tranchée. Toutefois, si nous approuvons le colonel de Saint-Remy d’avoir parlé en homme et en soldat, nous ne blâmons pas Me Giraudeau de l’avoir fait en avocat : chacun a été dans son rôle. Les distinctions de Me Giraudeau se résument en ceci, que le lieutenant-colonel de Saint-Remy n’a pas reçu un ordre militaire émanant de ses chefs hiérarchiques, mais une réquisition civile émanant du préfet du Morbihan. Cette réquisition lui a été, à la vérité, transmise par le général Frater, qui commande à Vannes la 22e division ; mais le général Frater avait pris soin lui-même d’expliquer au préfet que les règlemens militaires ne lui permettaient de faire qu’une transmission pure et simple, et qu’il n’avait pas qualité pour y joindre un ordre personnel. Cependant il semble bien l’avoir fait par la suite ; mais s’il est vrai qu’il n’avait aucun titre pour cela, l’autorité de son ordre a pu être contestée. On comprend l’intérêt juridique de cette distinction. Si le colonel de Saint-Remy a désobéi à une réquisition du préfet de Morbihan, il s’est rendu coupable d’une faute civile, qui relève du Code pénal ; si au contraire il a désobéi à un ordre de ses chefs hiérarchiques, sa faute relève du Code militaire. Dans le second cas, la peine est beaucoup plus forte que dans le premier. Le conseil de guerre a admis à l’unanimité la thèse de la défense. Il a décidé que l’accusé n’était justiciable que du Code pénal, et, après lui avoir accordé des circonstances atténuantes, il lui a appliqué un simulacre de peine. C’était pousser trop loin l’indulgence. Une faute avait été commise ; elle devait être expiée. Ce qui relève le colonel de Saint-Remy à nos yeux, et probablement aux siens propres, c’est de s’être précisément exposé à cette peine que le conseil de guerre ne lui a pas appliquée. Il cesserait d’être intéressant s’il n’était pas puni. Il l’est aujourd’hui, et rigoureusement ; aussi l’intérêt lui revient-il. Mais ne faut-il pas en accorder aussi au commandant Robiou, qui, chargé du service à la place du colonel de Saint-Remy, a exécuté correctement les ordres auxquels celui-ci avait manqué ? Interrogé par un de ses juges sur les motifs pour lesquels il avait donné suite à la réquisition préfectorale, et sur les sentimens avec lesquels il l’avait fait, le commandant Robiou a répondu qu’il avait dû s’incliner devant un ordre légal, mais qu’il l’avait fait la mort dans l’âme. C’est le lan-