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poir ? Un coup de fusil est bien vite parti : il vaut donc mieux n’envoyer ni fusils, ni soldats. Tel est le raisonnement des socialistes, et M. Jaurès l’a déjà présenté avec insistance sous les formes les plus variées. Le sophisme est évident. Il est d’ailleurs contredit par le fait lui-même, puisque le colonel de Saint-Remy a été finalement mis en disponibilité, et qu’il sera demain mis à la retraite. Il n’y a, de plus, aucune comparaison à établir entre des religieuses qui défendent leur liberté et leur propriété, et des grévistes qui attentent à la liberté et à la propriété d’autrui. Mais il faut bien avouer que, pris dans un certain sens, le jugement du conseil de guerre de Nantes prête à l’équivoque sur laquelle repose l’argumentation des socialistes. Le jour où il serait admis qu’un officier peut soumettre à sa conscience les ordres qu’il reçoit de ses chefs, ou les réquisitions qui lui viennent du gouvernement, la discipline militaire aurait vécu ; et la société civile serait bien près de disparaître à son tour. On ne parviendra pas à rompre l’enchaînement de ces vérités incontestables : qu’il n’y a pas d’armée sans discipline, et que, sans armée, il n’y a plus d’ordre public au dedans, ni de défense nationale au dehors.

M. le lieutenant-colonel de Saint-Remy mérite, nous n’en doutons pas, les sympathies personnelles qui lui ont été prodiguées au conseil de guerre, et encore plus dans une partie de l’opinion. Il en paraît digne comme homme : mais, puisqu’il amis lui-même l’homme, ou, si l’on veut, le chrétien au-dessus du soldat, on ne sera pas surpris que d’autres se préoccupent davantage du soldat et de ses devoirs. C’était le rôle strict du conseil de guerre, qui ne l’a pas complètement rempli. Quant à la détestable politique d’où sont sortis ces incidens malheureux, ces incidens eux-mêmes, et les suites pénibles qu’ils ont eues, sont une raison de plus de la condamner.

Veut-on voir cette politique à l’œuvre dans un autre domaine ? M. le président du Conseil, ministre de l’Intérieur, vient de faire un mouvement préfectoral, qui était depuis longtemps annoncé, qui s’est fait beaucoup attendre, et dont nous n’aurions pourtant que peu de chose à dire s’il ne comprenait pas le déplacement de M. Lutaud, préfet des Bouches-du-Rhône. M. Lutaud est un homme résolu, énergique, qui a fait ses preuves comme tel dans divers départemens, et qui, avant d’être préfet à Marseille, l’était à Alger où il a eu à combattre l’antisémitisme de M. Max Régis. Il l’a fait avec succès, et s’est attiré par là des sympathies et des hostilités également vives. Son œuvre une fois terminée en Algérie, M. Waldeck-Rousseau l’a appelé à Mar-