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jamais cessé d’être eux-mêmes. — Comment y sont-ils arrivés dans l’enseignement de l’éloquence ?

L’art de parler peut s’enseigner de deux façons : par la théorie et par la pratique Les Grecs semblent avoir préféré la théorie. Tournés surtout vers la spéculation, cherchant toujours la raison des choses, plus pour la chercher que pour la savoir, ils ont fait de la rhétorique une science compliquée, touffue, savante, qui contient beaucoup d’observations ingénieuses et profondes, mais aussi des subtilités, des parties oiseuses, où des questions sont posées, discutées, qu’il importe peu de résoudre. Cette science, les Romains ne l’ont pas négligée. Elle a été étudiée chez eux par des maîtres éminens, Cicéron, Quintilien, et beaucoup d’autres dont les ouvrages sont perdus. Cependant ils la jugent quelquefois avec sévérité. L’auteur de la Rhétorique à Herennius, qui se pique d’être un patriote zélé, y trouve beaucoup d’inutilités et de bavardages, et le dit sans ménagement. Quintilien, avec plus d’égards, l’insinue aussi, quand, après avoir respectueusement reproduit les divisions, subdivisions, définitions des rhéteurs grecs, le bon sens romain reprenant le dessus, il demande pardon au lecteur « d’avoir été plus verbeux qu’il n’était nécessaire. » On voit donc que, tout en donnant une grande place à l’enseignement doctrinaires maîtres romains ne s’en dissimulent pas les défauts ; ils pensent que ce qu’il y a de plus efficace pour habituer les jeunes gens à la parole, c’est de les faire parler, et tout le monde le pense comme eux. Dès le début, la popularité va aux exercices pratiques. Ceux qui les premiers ouvrent des écoles donnent à traiter à leurs élèves ce qu’ils appellent des thèses, c’est-à-dire des questions générales, comme celle-ci : vaut-il mieux se marier ou rester garçon ? lequel est préférable de vivre aux champs ou à la ville ? doit-on prendre part aux affaires publiques ou ne s’occuper que des siennes ? Peu après, les thèses sont remplacées par des causes, ce qui signifiait sans doute que les sujets qui étaient traités à l’école devaient ressembler aux procès qui se plaidaient devant les juges ; puis, tout d’un coup, il n’est plus question de thèses ni de causes, on nous parle de suasoriæ, de controversiæ', et l’exercice scolaire par lequel on habitue les enfans à parler prend le nom de declamatio, qui, dans ce sens, est nouveau. Si l’on a éprouvé le besoin de changer le nom, c’est probablement que la chose aussi a été changée, mais personne ne nous dit en quoi le changement a