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compose sa déclamation, il l’écrit, puis la lit devant le maître, qui la corrige phrase par phrase. Cela fait, il l’apprend par cœur et la récite avec les intonations et les gestes qu’on lui a enseignés. C’est donc deux fois de suite qu’il la répète devant le maître et les camarades, une fois assis, l’autre debout ; Juvénal a quelque raison de dire que ce régime auquel on soumet la classe est bien fait pour la dégoûter de l’éloquence[1]. Mais on se garde d’en rien laisser voir ; ce serait manquer grossièrement à la politesse, au savoir-vivre, à ce qu’on appelle avec un peu d’exagération l’humanitas, que de ne pas admirer un orateur qui débute. D’ailleurs ces jeunes gens savent bien que la complaisance est réciproque, et que celui qu’ils applaudissent leur rendra, quand ils déclameront à leur tour, ce qu’ils ont fait pour lui. Aussi, à la première phrase un peu brillante que leur camarade prononce, le jeune auditoire se lève ; on quitte sa place, on trépigne, on hurle, c’est un délire. Qu’on se figure ce que ces scènes pouvaient être dans ces classes agitées, bruyantes, qui comptaient quelquefois deux cents écoliers. Le débutant en sort enivré d’orgueil, et lorsque à son retour chez lui il a reçu les félicitations de sa famille émue, il peut croire qu’il est déjà un Cicéron.

Tout n’est pas fini ; après le triomphe de l’écolier, vient celui du maître. Il fait emporter le pupitre derrière lequel il parle ordinairement, il se dresse dans sa chaire, et, reprenant le sujet que les élèves viennent de traiter, il en donne le corrigé. C’est une fête pour la classe de l’entendre, et elle y prend un plaisir si vif qu’elle se demande si ce n’est pas véritablement un crime d’empêcher les autres d’en jouir. C’est ainsi que dut venir l’idée d’ouvrir les portes de l’école le jour où le rhéteur devait parler et de laisser entrer ceux qui voulaient l’entendre.

On y vint en foule. La société de ce temps, plus éprise que jamais des lettres et un peu désoccupée de la politique, trouvait dans ces solennités littéraires une distraction dont elle avait besoin. Les plus illustres orateurs, Messalla, Pollion, l’empereur lui-même, avec ses grands ministres, Agrippa et Mécène, les encourageaient par leur présence. L’Ecole était pleine le jour où un maître célèbre, Porcius Latro, Albucius Silus, Gallio, devait prendre la parole. Les pensées ingénieuses, les phrases à effet, les images inattendues, les cliquetis de mots, toutes ces fleurs

  1. C’est, dit Juvénal, le régime du chou répété : Occidet miseros crambe repetita magistros.