Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/500

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tribunal doit appliquer : c’est la condition même du procès, et les procès fictifs qu’on imagine dans l’école ne peuvent pas plus s’en dispenser que les autres ; aussi toutes les controverses du recueil de Sénèque sont-elles précédées d’un article de loi qui va servir de thème à la discussion. Mais d’ordinaire cet article ne se retrouve textuellement ni dans les codes romains, ni dans ceux de la Grèce. C’est une législation de fantaisie qui est presque partout invoquée[1], et même quand le fond en est exact, il est rare qu’on n’y ajoute pas des détails qui le dénaturent. C’est aussi dans un monde de fantaisie que les déclamateurs font vivre leurs personnages. Est-on dans la Grèce ? est-on à Rome ? à quelle époque se passent les faits qu’on va discuter ? Il est difficile de le dire. Nous voyons qu’il y est question partout de la piraterie, qui n’existe plus dans le monde romain depuis Pompée. Le tyran aussi y joue un grand rôle, un tyran de petite ville, comme il a dû s’en trouver en Grèce, à l’époque de Pisistrate, mais qu’a supprimé partout le régime municipal sous lequel vit l’empire. On en a fait un type d’homme abominable, un monstre qui pille, qui viole, qui torture, qui tue, qui vit dans sa citadelle, entouré de ses satellites, tandis qu’à côté de lui, dans l’ombre, le tyrannicide le guette, attendant l’occasion de mériter la fameuse récompense sur laquelle, à l’école, on discutera sans fin, quand le coup sera fait. Ce sont si bien l’un et l’autre des personnages de convention que le tyran véritable, celui qui siège au Palatin, ne prend pas pour lui d’ordinaire les injures qu’on dit à celui de l’école, et qu’il laisse « la foule des élèves l’égorger en chœur dans les classes[2] » sans avoir l’air d’en prendre aucun souci.

Il semble que, dans ces conditions, l’imagination des maîtres étant laissée libre d’inventer les sujets qu’ils veulent et comme ils le veulent, ils allaient en produire sans cesse de nouveaux qui ne se ressembleraient pas entre eux ; il n’en est rien. Ceux qu’on donne aux écoliers sont toujours les mêmes. On y retombe toujours sur les mêmes incidens et les mêmes personnages. Pour ne pas en être trop étonnés, rappelons-nous combien est pauvre le fond sur lequel vit le théâtre depuis qu’il existe, et qu’il

  1. M. Bornecque le montre très clairement dans ses notes. Il nous dit qu’il doit les renseignemens qu’il nous donne à ce sujet à M. Paul-Frédéric Girard, professeur à la Faculté de droit de Paris ; il l’en remercie, et le public doit l’en remercier avec lui.
  2. Quum perimit sævos classis numerosa tyrannos. Juvénal.