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VI

Il y en a d’autres assurément ; et, par exemple, on s’aperçoit vite, quand on lit l’ouvrage de Sénèque, qu’il contient des renseignemens curieux sur la société de cette époque, qui est le siècle d’Auguste ; et, comme on les trouverait difficilement ailleurs, il ne faut pas les laisser perdre.

Le sujet des controverses était pris généralement dans la vie privée. La peine que se donnent les maîtres pour les rendre plus intéressantes ou les rajeunir quand elles ont vieilli, ce que les élèves y ajoutent par les couleurs qu’ils se permettent d’inventer finissait par leur donner un caractère très romanesque, et ce caractère est un des motifs du succès qu’elles ont obtenu. Le roman est à peu près absent de la littérature latine, ce qui ne veut pas dire que le romanesque n’eut aucune place dans l’imagination des Romains, au moins quand ils étaient jeunes. Ils devaient en avoir le goût comme tout le monde, et la déclamation leur plaisait, parce qu’elle leur donnait un moyen de le satisfaire. L’absence du roman est fâcheuse pour ceux qui aujourd’hui veulent connaître les détails de la vie intérieure au premier siècle de notre ère, d’autant plus que le théâtre nous manque aussi pour cette époque. Il faut y suppléer comme on peut et aller prendre chez les déclamateurs ce qu’ils en disent, en se souvenant que ce sont des gens qui exagèrent volontiers, et qu’on doit user avec précaution de leur témoignage.

Dans le tableau qu’ils nous présentent de la vie de famille, il y a un personnage qui ne paraît guère, c’est la jeune fille. Il est vrai qu’en réalité elle y tenait assez peu de place. Nous avons pourtant, dans le recueil de Sénèque, une controverse qui roule entièrement sur elle, et il est intéressant de voir le rôle qu’on lui fait jouer. Voici, en quelques mots, le sujet de la controverse. Un jeune homme a été pris par des pirates, et son père ne se préoccupe pas de le délivrer. Il était donc condamné à rester prisonnier s’il n’avait touché le cœur de la fille du chef de la bande (archipirata). Après lui avoir fait promettre de l’épouser, quand il ne sera plus captif, elle le délivre et part avec lui. De retour dans son pays, il l’épouse. Mais, au bout de quelque temps, son père ayant trouvé une fille riche, qui a perdu ses parens et par conséquent jouit de sa fortune, une orba, comme on disait à