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soit raide et tendu, comme Lucain, par exemple ; au contraire, il a de la grâce et de l’aisance ; mais il aime les sujets romanesques, et leur donne volontiers des airs de mélodrame, il met de l’esprit dans le sentiment ; ses personnages semblent plaider leur passion, plus qu’ils ne l’expriment, ils sont bavards, discoureurs, disputeurs, surtout grands faiseurs de traits et de pointes, parmi lesquels il s’en trouve qui viennent d’Arellius Fuscus ou de Porcius Latro, car il ne laissait rien perdre. Les écrivains qui sont venus après lui, orateurs, historiens, poètes, ont gardé, comme lui, des traces de leur éducation. Tous ou presque tous déclament (je prends ici le mot au sens moderne) mais chacun à leur manière, car il y a diverses manières de déclamer. Ce qu’elles ont de commun, ce qui est le caractère même de la déclamation, quand elle s’applique à la littérature en général, c’est l’habitude d’écrire comme si l’on parlait et qu’on fût écouté ; par suite l’abus des formes oratoires, le goût des lieux communs qui donnent au style une grandeur factice, l’emploi des procédés d’école qui risquent d’étouffer l’accent personnel et de nuire à l’expression naïve de la pensée, l’excès du développement régulier, qui supprime la fantaisie, la recherche exagérée de l’effet, enfin ce qu’on appelle aujourd’hui, un peu injustement, la rhétorique.

La rhétorique devait réussir à Rome, elle convenait à une nation qui aime la pompe et la majesté. On est plus étonné qu’elle se soit si vite répandue dans les provinces, surtout chez celles de l’Occident, qui étaient à moitié barbares. Au début de l’empire, les jeunes provinciaux prirent l’habitude de venir à Rome, pour y faire leur éducation. Ils étaient très sensibles aux charmes de la grande ville, et il faut croire qu’aussitôt qu’ils y mettaient le pied, ils affectaient, comme c’est l’usage, de paraître plus Romains que ceux qui n’en étaient jamais sortis. Le Gaulois et l’Espagnol, voyant le succès qu’obtenait la rhétorique, s’y adonnaient avec passion. Dans une civilisation qu’il commence à connaître, l’étranger prend d’abord les exagérations, c’est ce qui le frappe le plus, et ce qu’il est aussi le plus facile d’imiter. On nous dit que les jeunes gens, qui fréquentaient les écoles, retenaient surtout les pensées brillantes, les phrases à effet, et qu’ils les répétaient avec des intonations de voix qui en faisaient ressortir la beauté, ou, comme on disait alors, qu’ils les chantaient. Ils ne négligeaient pas non plus de les écrire dans leurs cahiers, afin de n’en pas perdre le souvenir, et de s’en servir à l’occasion.