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débarrasser de nous. Il ne nous est pas possible de nous faire illusion sur la façon de penser à notre égard des gens d’Agadez, aussi bien le sultan que tous les autres. Ils ne voulaient à aucun prix nous voir suivre les chemins frayés… Ils avaient ainsi la certitude de nous mener à la soif fatale, moment où nos hommes eussent été déprimés outre mesure, ne cherchant plus qu’un peu d’ombre et l’espoir d’un puits, que le guide aurait sans cesse signalé très proche ; grâce à cette situation, le guide lui-même se serait facilement échappé au dernier moment, avec une outre sur son âne, laissant la mission désorientée et anéantie dans la solitude sans eau de cette région redoutable. Les Touareg auraient attendu les convulsions du dernier des survivans avant de paraître et de s’emparer de nos dépouilles[1]. » Le commandant Lamy donne l’ordre de fusiller le guide. Mais ceux qui lui succèdent se rendent coupables d’erreurs ou d’incertitudes, sans qu’on puisse les convaincre de mauvaise foi[2].

L’avidité, à savoir l’espoir du pillage des épaves, dans le cas que nous venons de relater et dans beaucoup d’autres, se joignait à la haine du chrétien pour mettre la mission sur de mauvaises pistes et la dérouter. M. Foureau surprend une lettre écrite par un chef de village, et la déchiffre : « C’est un grand malheur, y est-il dit, que cette venue des koufar (mécréans, infidèles) ; c’est une grande tristesse, car c’est la première fois qu’un pareil fait se produit…[3]. » Le même sentiment s’exprimait avec violence dans divers propos surpris par la mission. « La colonne des koufar, disaient les Touareg, ah ! elle n’ira pas au Soudan ; elle ne passera pas[4] ! » Il faut, par tous les moyens, les arrêter. Ne pouvant le faire par la force comme pour Flatters, on l’essayait par la ruse.

Il serait, sans doute, exagéré de dire que tous les guides du pays touareg furent de mauvaise foi ; on les payait, d’ailleurs, très largement pour la contrée, un millier de francs chacun, moitié d’avance et moitié au terme de la section pour laquelle ils étaient engagés. Mais il est très douteux que la mission, à travers ces 2 500 kilomètres, ait toujours suivi la meilleure route. Les obstacles sérieux qu’elle a rencontrés viennent des hommes et beaucoup moins de la nature des lieux.

  1. Mission saharienne, p. 398 à 400.
  2. Ibid., p. 119, 403, etc.
  3. Ibid., p. 215.
  4. Ibid., p. 140.