Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/553

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

déplorer les maladresses commises par trop d’honnrteté, et ce divorce qui lui paraissait plus abject encore, à présent. Tant de souffrance pour rien! Revenir en arrière, était-ce possible ? S’entêter : où irait-on? Elle avait beau chercher, en un désarroi pire que celui de Francine, dont elle admirait le douloureux courage, une solution qui lui apportât quelque consolation, un espoir, si faibles fussent-ils. Rien !

Quel comble au mauvais destin qu’Eparvié fût rentré trop tôt dans la vie de sa fille : il y avait de quoi faire trembler, avec la méchanceté du monde et le caractère de Francine. Si elle ne pouvait un jour épouser l’homme qu’elle aimait, qu’elle aimerait de plus en plus, — car elle l’avait dit, elle n’était pas de celles qui se résignent, — que de douleurs en perspective ! C’était affreux d’être broyée dans un pareil étau, par la faute d’une loi mal faite, d’un tribunal inintelligent !

Un heurt léger à la porte :

— Puis-je entrer ? dit une voix bien connue.

Charlie avait forcé la consigne et refusé qu’on l’annonçât ; ce n’était pas la faute du vieux Jean : qu’on le grondât, lui.

— Non, Charlie, vous avez bien fait. Francine, qui va rentrer, sera enchantée de vous voir.

Elle n’ajouta pas : Je le suis ; son visage l’en dispensait. Depuis le jour de l’enquête et la scène du coupé, elle s’était arrangée pour ne le recevoir, à deux ou trois occasions, qu’en présence de tiers. Elle l’admira, gracieux et robuste avec sa pâleur d’ambre et ses yeux chaleureux, son fier sourire qui, plus éloquent que toute parole, lui disait sa tendresse et son dévouement.

Quel bonheur de la trouver seule ! Il n’avait pu, en apprenant le déni de justice, résister à venir leur dire combien il les plaignait ; mais sa pitié, comme sa révolte, allaient surtout vers elle ; elle le sentit au premier mot et en fut réchauffée.

— Quel tourment pour moi de vous savoir malheureuse ! rester les bras croisés, quand depuis dix-huit mois vous luttez seule, sans défense !

C’était là le plus pénible ; sans la peur de les compromettre, sans les convenances qui le retenaient, sans le sentiment de son impuissance... Ce n’est pas les tentations qui lui avaient manqué... mais que faire ?... Provoquer Le Hagre serait une insigne folie, un scandale dont seules les deux femmes souf-