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extérieur, quel qu’il soit, et la constitution de notre mentalité, quelle qu’elle soit, il y a un rapport constant. Peut-être même y a-t-il quelque chose de plus ! « Quand la nature, a-t-on dit, veut faire de la chimie, elle emploie comme nous des cornues et des alambics, et quand elle veut faire de la mécanique, elle emploie, comme nous, des leviers, des poulies, des canaux, des soupapes. Cette rencontre de la nature et de l’homme dans la construction des mêmes engins, sans qu’on puisse dire que l’homme ait copié la nature, et encore moins que la nature ait pris modèle sur l’homme, est une des meilleures preuves que le système de nos sciences est bien fondé sur ses raisons naturelles, indépendantes des conceptions et des artifices de l’esprit humain[1]. » C’est ce qu’on a exprimé d’une autre manière, plus générale, en disant que « partout où il y a du sensible » il y avait toujours de « l’intelligible qui y correspond[2]. » Est-il, après cela, bien utile de compliquer le problème à loisir ? Imitons donc plutôt Auguste Comte, et puisque tout se passe, et se passera toujours comme si le monde extérieur était ce que nous croyons qu’il est, laissons la question de son objectivité, après nous en être assurés, aux méditations des dilettanti de la philosophie.

Empressons-nous seulement d’ajouter que cette conviction de l’objectivité du monde extérieur, nous n’y avons pu aboutir que par le chemin de la métaphysique. L’affirmation de cette objectivité est elle-même, s’il en fut, une affirmation de l’ordre métaphysique, puisqu’elle dépasse absolument l’expérience. Et, enfin, puisque nous ne pouvons nous tenir pour certains de l’objectivité de la science qu’autant que nous le sommes de l’objectivité du monde extérieur, le fondement de la science est donc « métaphysique ; » et voilà, sans grand effort de réflexion ni de raisonnement, mais surtout sans contradiction, la métaphysique rétablie, si je puis ainsi dire, au cœur même du positivisme. Il y a une métaphysique du positivisme, et cette métaphysique ne se surajoute pas du dehors à l’édifice de la doctrine, mais on dirait plutôt, il faut même dire qu’elle en sort, si le positivisme, en fait, et par les moyens que nous venons d’indiquer, ne l’a pas tirée d’ailleurs que de la théorie de la « relativité de la connaissance. »

  1. Cournot, Considérations sur la marche des idées dans l’histoire, t. I, p. 296.
  2. Ravaisson, Rapport sur le concours pour le prix Victor Cousin, 1884.