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termes, nous ne connaissons rien que dans son rapport avec autre chose, et, par conséquent, sous la condition et au moyen d’autre chose. Ce serait parler chinois, ou plutôt ce ne serait rien dire, que de dire « qu’un corps plongé dans un fluide perd de son poids le poids du volume de ce fluide qu’il déplace, » si nous n’avions au moins quelque idée de ce que c’est qu’un corps, un fluide, un poids, un volume, et de quelques autres choses encore. Nous ne pensons donc le principe d’Archimède qu’ « en relation » de ces notions, et le principe lui-même n’a de sens ou de vérité qu’en fonction de ces relations.

Mais ces relations, nous l’avons vu, ne sont elles-mêmes « scientifiques » qu’autant qu’elles sont « constantes » et « nécessaires ; » et c’est ce qui distingue la relation qu’exprime le principe d’Archimède de celle qui se traduirait dans la phrase suivante : « Au moment qu’il la croyait perdue, Bonaparte gagna la bataille de Marengo. » Il faut, à l’établissement du principe d’Archimède, qu’un corps soit toujours un corps, un fluide toujours un fluide, un poids et un volume toujours un volume et toujours un poids. Il le faut, quel que soit le nom dont on les nomme, et en toute indépendance de la convention verbale qui les désigne par tel ou tel signe et tel ou tel son. Il faut qu’il y ait du corps, et des fluides, une définition fixe, et une notion commune, générale, universelle. D’où la tirerons-nous ? De la comparaison que nous ferons entre eux de leurs caractères, laquelle sans doute ne sera qu’une manière encore de penser « en relation, » et de l’expérience que nous aurons des qualités des objets. Mais, corps ou fluides, quand de l’idée que nous nous en formons, nous avons écarté tout ce qui s’y peut mêler de variable ou de circonstanciel, la définition scientifique s’en trouve composée de ce qu’il y a d’identique et de permanent en eux. C’est ce quelque chose d’identique ou de permanent qu’Herbert Spencer, en son langage, appelle « la chose effective, » actuality, et comme nous n’en pouvons rien connaître, sinon sa permanence et son identité, c’est « cette chose effective » qu’il nomme l’Inconnaissable. Que dira-t-on qu’il y ait dans tout ceci qui ne soit entièrement conforme à la théorie de la relativité de la connaissance, ou plutôt qui n’en dérive ? S’il n’existait pas un « inconnaissable » dont les corps, solides ou fluides, ne sont que des manifestations phénoménales, appropriées, si l’on veut, ou adaptées à nos sens, nous ne pourrions nous former aucune idée, même