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M. BILLOT AU BARON DE DAMAS

Monsieur le baron,

J’ai reçu par l’avant-dernier courrier la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire de Pise le 3 de ce mois. Je suis fort touché et très reconnaissant de ce qu’au milieu de votre voyage d’Italie vous avez été assez bon pour me donner ainsi quelques instans.

Vos courses dans ce beau pays, sous un ciel aussi doux, même au moment où l’hiver est en général le plus rude ailleurs, accompagné de Mme la baronne, qui vous y a rejoint avec deux de vos enfans, que vous n’avez également point vus depuis plus de trois ans, ont dû, non sans doute vous distraire entièrement de nos tristes préoccupations sur l’avenir, mais du moins en adoucir beaucoup l’amertume.

Vous y aurez vu de plus que moi, en grandes villes, Milan et Venise ; mais je crois que comme moi, de toutes ce serait Rome que vous préféreriez habiter. On y arrive en général avec l’idée qu’elle n’a guère d’autre mérite que ses souvenirs historiques, ses ruines, et l’on reconnaît bientôt que Rome moderne a aussi par elle-même beaucoup d’attraits.

Je ne peux guère vous dire quelque chose de nouveau relativement à notre colonie. Votre correspondant habituel[1] vous tient au courant de ce qui s’y passe. Ainsi vous saurez, avant que cette lettre vous arrive, que M. d’Hautpoul va retourner en France ; il partira demain. Il m’est impossible de vous expliquer mieux la cause de son départ, qu’en lui appliquant ce que vous me faisiez l’honneur de me répéter sans cesse vous-même, en octobre dernier, lorsque mes efforts tendaient à concourir autant qu’il pouvait dépendre de moi à la réunion de ce qui arrivait avec ce qui était : Il est impossible de s’entendre même avec les hommes les plus honorables, lorsqu’ils sont les représentans d’un parti. Au surplus, l’évêque d’Hermopolis reste, et cela gêne beaucoup ceux qui nous menacent de nouvelles attaques de journaux. Aussi certaines personnes ne cessent-elles d’insinuer, avec une insistance vraiment plaisante de leur part, que ce qu’il y aurait de mieux à faire, ce serait de rétablir tout ce qui existait avant le 1er novembre. Leur but, qu’elles déguisent à peine, serait d’amener ainsi la retraite de M. l’Év… d’H…[2] et de recommencer, au nom de la France, des attaques dont une personne est d’avance fort effrayée[3]. Je crois qu’au fond le mauvais état de santé de M. d’H… est aussi entré pour beaucoup dans sa détermination. Il ne pouvait qu’avec une peine extrême suivre dans les promenades à pied ou à cheval. Nous avons du reste toujours été fort bien ensemble ; seulement j’aurais désiré plus d’ouverture dans le langage et les manières. Mais je comprends que cela devait tenir moins au caractère habituel, qu’à la fausse position résultant d’engagemens pris.

Monseigneur n’a éprouvé, à l’annonce du départ de M. d’H…[4], d’autre sentiment que celui de la crainte de voir arriver Ch… rétien[5], et celui du

  1. Le duc de Blacas.
  2. L’évêque d’Hermopolis.
  3. La Dauphine.
  4. M. d’Hautpoul.
  5. Chateaubriand.