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ment, quand le sommelier survint, Faust le jucha dans les branches les plus élevées d’un sapin, où il l’abandonna, tandis que toute la bande reprenait son vol à travers les airs. On voit que l’imagination populaire a déjà brodé sur l’histoire ; Faust est décidément entré dans la légende.

Il n’y a aucune raison de douter que le personnage dont parlent les témoins précités ait réellement vécu, quels que soient d’ailleurs son vrai nom et sa vraie origine, qu’il se soit appelé Jean ou George Faust, ou George Sabellicus ; qu’il appartienne au Wurtemberg, ou à la Saxe, ou au Palatinat du Rhin. Il est même probable qu’il changeait souvent de nom, comme il changeait le théâtre de ses exploits. Mais on voit aussi, d’après l’ensemble des témoignages contemporains, à quelle espèce de personnage nous avons affaire. Les sciences occultes, dans lesquelles il se disait le premier des maîtres, ont toujours eu deux sortes d’adeptes, ceux qui y croyaient et ceux qui en tiraient profit, les naïfs et les charlatans. Faust était du nombre de ceux-ci. Il n’avait rien d’un Agrippa de Nettesheim, avec lequel ses contemporains le comparaient quelquefois, et, au fond, il se souciait peu de savoir dans quelle sphère résidaient les esprits qu’il prétendait soumettre à sa volonté. Mais ce n’était pas non plus un simple baladin de carrefour. Il savait se métamorphoser selon le public auquel il s’adressait, et il trouvait ses dupes dans le grand comme dans le petit monde. Il était, du reste, bon compagnon, intarissable en paroles, et jamais à court d’expédiens. Le peuple admire ces gens, dit Mutianus Rufus. Le peuple, en effet, a adopté Faust, tandis que les savans le méprisaient ; il l’a idéalisé en beau et en laid, et il a reporté sur lui sa vague conscience d’un mystérieux au-delà.


II

Un des critiques les plus pénétrans qui se soient occupés du Faust, Kuno Fischer, fait cette remarque que le poème de Gœthe a tous les caractères d’une épopée nationale[1]. Le personnage principal est historique, mais il a été aussitôt transformé par la légende. Le sujet n’est pas l’invention personnel d’un poète, mais le résultat lentement accumulé d’une tradition

  1. Kuno Fischer, Gœthes Faust, 3e éd., Stuttgart, 1893.