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très réelles et très idéales dans lesquelles se peint spontanément le génie d’une nation au moment où elle prend conscience d’elle-même ; c’est le produit d’un siècle très raisonneur. Il y avait bien, dans l’ardente curiosité de Faust et dans ses velléités d’indépendance, les élémens d’un caractère poétique ; mais ces élémens ne se dégagèrent que plus tard. À l’époque où la légende prit sa première forme, elle ne tendait qu’à se développer dans le sens de l’édification et de la controverse ; c’était un texte à remontrance, une démonstration par l’exemple. Un auteur wurtembergeois, George-Rodolphe Widman, publia, dans la dernière année du siècle, douze ans après Spies, une « Histoire véridique des horribles et abominables péchés et vices et des aventures merveilleuses et singulières du fameux magicien et nécromancien docteur Jean Faust, avec des exhortations utiles et de beaux exemples pour l’instruction et l’avertissement des lecteurs »[1]. L’ouvrage de Widman contient trois parties et n’a pas moins de 671 pages. Les « aventures » sont les mêmes que chez Spies, sauf quelques variantes ; ce qui est en grande partie nouveau, ce sont les « exhortations ». Faust est né dans le duché d’Anhalt ; c’est à l’université catholique d’Ingolstadt qu’il étudie la magie. Le voyage à Rome et à Constantinople est omis ; mais on rappelle complaisamment les « crimes » des papes ; Grégoire VII est présenté comme un magicien. Widman attaque violemment le célibat des prêtres ; il répète presque textuellement les instructions du catéchisme de Luther : « Dieu veut que nous honorions l’état de mariage et que nous le considérions comme un état saint, parce que c’est lui qui l’a institué, et qu’il l’a institué avant tous les autres états. Il faut que tous les autres états, soit spirituels, soit temporels, s’abaissent devant celui-ci, qui les surpasse tous. Les prêtres, les moines, les nonnes, qui méprisent le mariage, résistent au commandement de Dieu ». Dans Spies, Faust exprime un jour l’envie de se marier, et il faut que Lucifer intervienne pour l’en guérir. Chez Widman, une des clauses du pacte est que Faust renonce à jamais au mariage ; ainsi le diable sera plus sûr de faire son œuvre en lui. Enfin Widman, en « véridique historien », veut assigner des dates aux événemens et ces dates constituent un parallélisme curieux entre la vie de Faust et celle de Luther. Le pacte est conclu en 1521,

  1. Wahrhaftige Historien, etc., Hambourg, 1599.