Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/667

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mêmes par leur contenu historique, comme le drame de Gœtz, soit qu’ils répondissent à un moment précis de la vie du poète, comme le roman de Werther. D’autres, d’une portée plus générale, et peut-être d’une conception plus vague, restèrent à l’état de fragmens, et c’étaient peut-être ceux qui traduisaient le plus fidèlement le caractère de l’époque. Faust est de ce nombre.


VII

L’époque a pris en allemand le nom de Sturm-und-Drang. Ces mots signifient l’un et l’autre un mouvement tumultueux ; le premier s’applique spécialement, par dérivation, aux éléments déchaînés, et se traduit en français par tempête. « On peut nommer cette époque, dit Gœthe, l’époque exigeante[1], car on exigeait de soi et des autres ce que nul homme encore n’avait donné. » Que voulait-on ? Renouveler la poésie, la morale et la religion, brusquement, en un jour, par la puissance magique du génie. Le mot d’ordre qui ralliait les poètes, les philosophes, les pédagogues, c’était la nature, la pure et primitive nature, non encore souillée au contact d’une civilisation mensongère. L’inspirateur était Rousseau. En poésie, on ne reconnaissait que les anciennes traditions nationales, lyriques ou épiques. On y ajoutait volontiers Shakspeare, non qu’il fût moins civilisé que Dante ou Corneille, mais parce qu’on voyait en lui un révolté qui avait secoué le joug des règles classiques. Entre la nature et le génie, on n’admettait aucun intermédiaire. L’homme de génie interprétait librement la pâture ; il n’avait besoin ni de règle ni de conseil ; on lui attribuait le don de l’aperception immédiate, une sorte de divination supérieure qui lui tenait lieu d’observation et d’étude. En morale, on était obstinément individualiste et personnel. « Celui-là seul, disait Jacobi dans son roman de Woldemar, celui-là seul a fait tout ce qu’il doit, qui, toujours d’accord avec lui-même, peut jouir de sa propre approbation. » Le devoir de chacun était de se faire un idéal et d’en poursuivre la réalisation, en s’appuyant sur ce qui le favorisait, en supprimant ce qui le gênait. L’homme était placé au centre du monde, comme le premier de sa race à qui Dieu avait promis tous les biens de la terre ; il s’en appropriait ce qu’il pouvait, pour donner en sa

  1. Die fordernde (Poésie et Vérité, xve livre).